L’eau, l’éclairage et autres avancées
1. L’eau
Le Bleymard n’est alimenté en eau qu’au début du XXᵉ siècle. Bien plus tard arriveront les égouts.
Le point d’eau le plus central était la gourgue du Lahondés, située au fond du village après le pont de Combesourde. Les gens du village allaient y puiser l’eau pour eux et les animaux « sédentaires ». Les vaches et les brebis étaient conduites sur les rives des deux rivières pour s’y abreuver.
On buvait également l’eau des rivières ce qui, chaque année, occasionnait de nombreux cas de fièvre typhoïde. En 1896 la municipalité, une des premières en Lozère, demanda l’adduction d’eau, en provenance d’un captage sur le ruisseau du Bonnetès.
Les fontaines sont installées, elles étaient de deux sortes :
- les naouches où l’eau s’écoulait sans interruption d’un tuyau en fer dans un bassin en pierre et ciment, muni d’un trop plein. Ces fontaines alimentaient humains et animaux. Si mes souvenirs ne me trompent pas il existait cinq fontaines de ce type : une à la Remise, une face à l’ancien cours complémentaire, une très belle, devant l’actuelle boulangerie (maison de Mlle Rouvière), une devant l’école primaire (place de l’église) et une à la place Basse.
- Les fontaines en fonte, d’où l’eau n’était délivrée qu’à la mise en rotation rapide de la manivelle horizontale, qui les coiffaient. Ces fontaines, au demeurant très belles, grâce à leur ingénieux système participaient à l’écologie avant l’invention du terme. Toujours selon mes souvenirs, trois de ces fontaines sont mises en place : une au dessous de la boulangerie Mazoyer, une au fond du Bleymard, une au bas du boulagiou de la Barri-Basse.
Ci-dessous des extraits du marché passé entre le Maire et l’entrepreneur (Maître de Forges) pour la construction de ces fontaines (source archives départementales cote M 12899).
Marché pour la construction des fontaines, 4 mars 1896
Entre les soussignés,
Monsieur Ernest Rouvière, maire de la commune du Bleymard … y demeurant et domicilié, agissant en vertu de la délibération du Conseil Municipal de ladite commune en date du 1 mars courant … d’une part,
et M. Xavier Rogé, Maître des Forges, demeurant et domicilié à Pont-à-Mousson (Meurthe et Moselle), Administrateur et Directeur des hauts fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson, d’autre part,
Ont été faites et acceptées à titre de marché de gré à gré les conventions suivantes :
Art. 1ᵉʳ – M. Rogé ès qualités, s’engage envers la commune du Bleymard à exécuter aux conditions ci-après, les fournitures et travaux ayant pour objet la construction des fontaines publiques du Bleymard, comprenant, d’après les devis et cahier des charges, ci-après mentionnés, les fournitures et pose des tuyaux et accessoires. Les-dits tuyaux en fonte, système à emboîtement et cordon.
Ces travaux devront être terminés et en état de réception provisoire pour le vingt septembre mil huit cent quatre vingt seize.
Les travaux devront être exécutés suivant les règles de l’art et conformément aux instructions écrites.
Art. 2 – (comporte l’énumération et les prix des diverses partis des travaux)
Total : dix mille quatre cent cinquante huit francs quatre vingt deux centimes
Art. 3 – M. Rogé ès qualités sera tenu de verser, dans les cinq jours qui suivront l’approbation du présent traité par M. le Préfet de la Lozère, à la caisse du Receveur Municipal de la commune à titre de cautionnement, la somme de cinq cents francs.
Fait le quatre mars mil huit cent quatre vingt seize,
L’entrepreneur, signé Rogé
Le Maire, signé Rouvière
Approuvé
Mende le 13 août 1896
Pour le Préfet
Le conseiller de la Préfecture de la Lozère, signé Ponsinet
Grâce à l’intervention de mon excellent ami Joseph Maurin, qui arrêta, presque à temps, les masses des démolisseurs communaux, cette dernière fontaine, (ou plus exactement ses vestiges), est encore sur pieds (photo ci-dessous).

Il demeure qu’on ne peut que déplorer la disparition de toutes les fontaines du village !
L’eau étant alors un luxe, le rinçage des lessives se faisait soit au lavoir, sous-mamé-Jeanne (photo n° 1) soit dans un petit gourg situé sous le pont entre le Bleymard et la Remise (photo n° 2).


Le linge était charrié, à l’aide de brouettes, dans des corbeilles en osier (banastes ou déchios) puis descendu, jusqu’à la rivière par un mauvais chemin très pentu et très difficile .
Ma mère, qui lavait le linge de pas mal de familles du village, a ainsi charrié des tonnes de linge. Lorsque je rodais dans le coin, je lui apportais souvent mon aide surtout pour descendre et remonter les lourdes corbeilles de linge gorgé d’eau… et parfois aussi, à mon irrépressible honte, lorsque mes jeux avec les copains étaient trop intéressants, il m’arrivait d’oublier de la voir descendre la route de la Croix de la Mission, ou d’être sourd au couinement caractéristique de sa brouette, que j’ai encore dans la tête. Ce souvenir, peu glorieux me poursuit d’autant plus que ma mère, La Camilla, était une femme admirable de dévouement à tous et de courage. Le nombre de personnes du Bleymard qui ont bénéficié de son aide lors de maladies, deuils et difficultés de tous ordres est impressionnant.
Ce n’est qu’en 1929 que les particuliers furent autorisés à se raccorder au réseau public.
2. Les égouts
Pour ce qui concerne les égouts, au commencement, une « rigole », au milieu de la rue principale, recevait toutes les déjections des riverains. L’odeur était, dit-on, assez impressionnante. La photo ci-dessous, à défaut de l’odeur, donne une idée de l’aspect de la rue.

Pour être juste, il convient de préciser que le Bleymard ne constituait pas une exception, et il m’a été donné de lire des descriptions du Paris de l’époque, tout aussi pittoresques.
Plus tard, en 1926, un égout central est enterré. Il est équipé, de place en place, de larges grilles destinées à recevoir les eaux de pluie, les eaux usées… et autres car les maisons n’y sont pas raccordées. Périodiquement le trop plein de naouches est obstrué pour permettre un nettoyage de la rue1. Au moment du passage de l’eau, donné par le garde champêtre Le Maginot, chaque riverain est tenu de laver la partie de la voie publique au droit de sa maison et jusqu’au milieu de la rue.
3. Les couades
En hiver, le mercredi soir, lorsque la nuit s’annonçait particulièrement froide, des ombres furtives se glissaient vers la fontaine prolongeant la maison de Mlle Rouvière.
Le lendemain matin la rue, depuis cette fontaine jusqu’au pont de Combesourde, s’était transformée en un magnifique miroir, le siphon ayant été dûment condamné par nos lascars.
Et… le jeudi, après le catéchisme, c’était un concours de glissades – les couades – sur des luges pour les rares qui en possédaient, des traineaux – les ménous – ou même de simples planches. Que de bousculades, de cris, de disputes, quelle animation ! Et quelle fierté pour les plus courageux qui se donnaient assez d’élan pour remonter jusqu’au milieu du pont !
Mais aussi quel calvaire pour les riverains qui ne pouvaient sortir de chez eux qu’après avoir répandu cendres et mâchefer et pour le brave curé Fraisse lequel, au péril de ses os, devait au petit matin gravir ce glacis pour aller dire sa messe ! Bien sûr, ça rouspétait ferme mais cela n’allait pas très loin, les « vieux » n’avaient pas oublié qu’ils avaient fait la même chose, avant nous. Certains, même, n’hésitaient pas à nous emprunter un ménou pour une petite couade.
Ma mère et mes tantes m’ont raconté avoir participé à de telles glissades, avec, en guise de traîneau, leurs chaufferettes qu’elles avaient amenées à l’église ou à l’école des sœurs (non ou très mal chauffées).

Enfin, après la guerre le dépavage (la rue était caladée) de la rue est mis à profit pour raccorder les habitations.
Puis, lorsqu’ils en ont les moyens, les habitants se raccordent à l’eau courante. La maison de ma grand-mère, où ma mère, lavandière fait ses bujiades n’est reliée qu’en 1956.
4. L’électricité
L’électricité n’arrive qu’en 1930 mais dans ce domaine également ne sont raccordés que ceux qui ont les moyens, et qui n’éprouvent pas la crainte irrationnel, mais assez répandue, des nouvelles techniques.
Le raccordement se borne, le plus souvent, à l’installation d’une ampoule dans la pièce à vivre toute prise électrique étant encore exclue (pour y brancher quoi ?) Pour accéder aux chambres le règne de la bougie ou de la lampe à pétrole perdurera, encore, longtemps.
Selon le récits de ma tante, Marie Reboul, l’arrivée de la fée électricité n’en constitua pas moins un événement considérable qui fut dignement fêté par un défilé dans la rue principale, animé de chansons, de bourrées, agrémenté, la nuit, par des lanternes vénitiennes… et accompagné de forces libations.
5. Autres avancées
À peu près à la même époque, le Bleymard connut d’autre progrès. Dans ce domaine, l’oncle Albert fut un précurseur. Je reviens peut-être, un peu trop souvent sur cette figure, mais ceux qui l’ont vraiment connu me pardonneront.
Le premier camion fit une entrée pétaradante dans le village. Un peu plus tard il sillonna les routes et chemins des environs écrasant au passage quelques poules et chiens, ce qui lui valut cette réflexion particulièrement savoureuse d’un habitant de Malavieille laquelle, au delà du sarcasme, manifeste une évidente bonne volonté et une touchante résignation : « On veut bien mais… » :
Én daquelo bitesso quaou t’én tendro dé chis ?2
La première T.S.F. était composée d’un récepteur et d’un haut-parleur indépendant à pavillon parabolique. Lorsque des événements importants se produisaient (bruits de guerre aussi bien que tour de France), ma tante posait le haut-parleur sur le rebord de sa fenêtre afin de permettre à ceux qui le désiraient de se grouper dans la rue pour écouter les nouvelles.
Le premier téléphone privé (après la mairie et, je crois, la gendarmerie) : « le n° 3 au Bleymard ».
Cet appareil, dont la magnéto était activée par une manivelle qu’il fallait tourner, à toute vitesse , était installée dans le couloir afin d’en faciliter l’accès aux amis.
À cause, ou grâce, à cette position, la petite pièce adjacente fut réquisitionnée en 1940, pour y installer le P.C. d’un régiment de l’armée en déroute qui stationna, un certain temps au Bleymard. Je ne puis préciser la durée de ce séjour, mais il fut assez long pour que les « secrétaires » de ce P.C., M. Guille et M. Welsch, deviennent des amis. M. Welsch participait aux travaux d’exploitation forestière de l’Albert, le plus souvent avec un camion de l’armée !