Quelques personnages

  1. Lou Milou
  2. Le Maginot
  3. L’Augustin Buisson
  4. L’Albert Reboul
  5. L’Antonin Reboul
  6. La Rosette
  7. Le Pierre-du-Cal
  8. Le Manifacier
  9. Le Peillarot
  10. Les « caraques »
  11. Elle…

En préambule aux quelques anecdotes relatées dans cette page, il me parait intéressant d’évoquer certains personnages quelques personnages qui ont marqué notre enfance. Partant du récit de Georgette Combes (épouse Balmelle) auquel j’ai ajouté mes propres souvenirs, on trouvera ci-après les portraits de quelques uns de ces personnages.

1. Lou Milou

Récit de Georgette Combes

L’échoppe du Milou (Emile Combes), s’ouvrait largement sur la rue par une porte vitrée à deux battants dont celui de droite restait toujours ouvert à la belle saison.

J’allais souvent le voir…

Ah ! L’odeur du cuir, de la poix, des clous… mais aussi des choux et des pommes de terre dans l’arrière boutique… et même du vin qui suintait du robinet ! Qu’est-ce qu’il fallait jiargousser pour installer le tonneau de 110 litres !

Le béret en pointe sur les yeux, un mouchoir à carreaux autour du cou et le tablier bleu, le dabantaou, le recouvrant de haut en bas telle était la tenue de travail du cordonnier.

Je me souviens de son regard malicieux se glissant par-dessous l’aile du béret. Il me racontait des histoires tout en reniflant de temps en temps une pincée de tabac à priser… qu’il partageait parfois avec la Camilesse, laquelle ne venait jamais blaguer avec son ami sans son inséparable tabatière.

Il fallait observer le jeu de ses mains.

Il ressemelait les chaussures mais l’essentiel de son art résidait dans la confection de souliers neufs,  sur mesure.

Quel régal de le voir découper les semelles, dans de larges pièces de cuir, avec son tranchet finement aiguisé, battre ces découpes pour affermir (ou assouplir ?) le cuir et puis, ajuster, réajuster  l’empeigne, percer des trous avec l’alène et passer des points de part et d’autre, dans les deux sens avec un long fil de chanvre, soigneusement enduit de poix. Ce fil portait, à son extrémité, un cuir raide qui, comme une aiguille, passait facilement dans les trous.

La chaussure prenait forme, le talon était posé puis clouté. Le cordonnier composait toujours le même dessin : deux rangs de clous à tête ronde sur le pourtour, trois rangs pour le talon et, au milieu de la semelle un magnifique losange… quel chef d’œuvre !

J’aimais cet artisan, j’admirais son talent, sa bonhomie.

À la fête du 15 août, le Milou abandonnait son atelier à ses fils (Maurice, Félix…) qui avec les copains de leur âge, « tenant » la fête, installaient, sur l’établi, le tourne disque qui diffusait des flots de musique sur le quartier par l’intermédiaire des hauts-parleurs installés sur la façade du Félix Peytavin et de la Marcelle.

2. Le Maginot

Récit de Georgette Combes

Augustin Reboul, dit Le Maginot exerçait, concurremment avec le père Buisson, aïeul de Gérard André, le métier de sabotier, car nous tous portions les sabots, ferrés ou non, avec ou sans garniture, vernis ou bruts.

Son atelier toujours ouvert se trouvait au Couderc.

Le bois utilisé était le bouleau. Avec une hache bien particulière, le sabotier taillait grossièrement le billot qu’il travaillait alors au paradou pour lui donner la forme convenable. Enserrée dans un étau de bois cette ébauche était creusée, lissée, fignolée puis mise à sécher.

Liés deux par deux au fond de l’atelier, il y en avait des piles bien rangées. Lorsque le client se présentait, le sabotier prenait la mesure du pied avec une baguette, coupée toujours un peu plus longue, et muni de ce témoin il cherchait dans la pile : « C’est ceux-là qu’il te faut. »

Après essayages répétés nouveaux curages, nouveau lissage venait le moment de la teinture, si cette option avait été choisie. Le Maginot proposait alors la pose d’une garniture en cuir noir bordée d’un liseré rouge. Il dessinait aussi, à la demande une fleur gravée à la gouge sur le coup de pied.

Ces essayages me rappellent le souvenir des discussions épiques entre le Maginot et son ami, quasiment frère, l’oncle Albert, qui ne trouvait jamais le sabot assez large. La discussion se terminait devant un canon… et les sabots au fond d’une armoire car malgré ses éloges de l’ancien temps et de ses sabots, sans garniture, l’Albert manifestement préférait les souliers du Milou… et les charentaises.

Le Maginot ne se contentait pas de faire des sabots. Il participait, à la journée à la vie des champs, mais aussi à l’exploitation forestière où il excellait dans le maniement de la touradouire. Marié à l’Albertine (fille de la Filhou), femme un peu simplette et père de Raymond l’innocent, il ne se faisait guère d’illusions sur leur capacité à se débrouiller sans lui et répétait souvent cette sentence : « Ton qué lou Maginot existaro, la touradouiro tiraro e la tiroliro duraro. Quon lou Maginot existaro pas plus la tiroliro s’atariro ! »1

Il exerçait également la fonction de garde champêtre, assermenté, et surveillait entre autres les pécheurs à la main ou à la fourchette, lissant sa moustache, il les apostrophait : « Ah ! Noum distiou ! Aquesté cop l’aouras toun biscuit ! »2… Il n’a jamais dressé de « biscuit » (P.V.)

Il est mort misérablement, brûlé vif dans son lit par la faute d’une couverture chauffante défectueuse.

3. L’Augustin Buisson

Évoquant les bergers et leurs troupeaux, Georgette consacre une ou deux lignes à Augustin Buisson, essentiellement pour dire qu’on le surnommait lou laïdé et… qu’effectivement « il était laid ».

J’ai déjà parlé de lui dans le chapitre réservé aux transhumants qu’il amenait, à pieds, de Crespian dans le Gard jusqu’aux pentes du Finniels.

Mais je me sens obligé de revenir vers lui, mon oncle, pour affirmer que ni moi ni mon épouse ne le jugions laid. Il avait le visage buriné par le soleil, les intempéries… et la « patissure ». S’il avait été réellement laid comment expliquer que ma fille, âgée de 4 ans, lui vouât une véritable adoration que, d’ailleurs, il lui rendait bien.

J’aimais sa compagnie, ses histoires de bergers et de brebis et sa grande sensibilité.

Au cours de la guerre de 1914-1918, il fut enterré par un obus. On ne l’exhuma qu’un jour après, on peut s’imaginer dans quel état physique et psychique.

Rendu à la vie civile son seul avenir fut l’éprouvant métier de berger.

4. L’Albert Reboul

Un article de la Lozere Nouvelle, hélas incomplètement lisible, le présente comme « essentiellement un liquoriste » (cf. page Vie Sociale). Le portrait est bien court pour un tel personnage.

Avec son « contremaître » et ami Pedro, réfugié de la guerre d’Espagne, il était exploitant forestier. Marchand de vin en gros, il convoyait sur son camion, les quatre demi-muids, remplis à la cave Crouzet à Nébian. Ce vin, titrant 9,5° était ensuite détaillé dans des fûts de 110 litres et livrés aux clients. De même il approvisionnait les cafés en caisses de bière et de limonade de la brasserie Muller à Mende.

Les bouteilles étaient consignées ce qui provoquait, souvent, lors des livraisons, des discussions homériques.

Il passait d’une activité à l’autre et parfois sacrifiait le travail forestier au grand dam de son « plus patron que contremaître » Pedro.

Mais ce qui caractérisait, véritablement, l’Albert, c’était sa générosité. Sa maison était, disait-on, « la maison du bon Dieu ». Qu’il soit en train de nettoyer ses tonneaux, devant sa cave, de se prélasser sur sa terrasse ou de se raser, un miroir accroché à la fenêtre de la cuisine, il ne manquait pas de héler tout passant de sa connaissance « Béni bièrou un canou ! » ou « un cran ! » (selon l’heure)

Les soutiens apportés à sa famille, à sa belle famille (et je fus le plus grand bénéficiaire de sa bonté) et à ses amis ne se comptent pas.

Et avec ça toujours prêt à la blague et à la rigolade avec les uns et les autres.

Ai-je dit que parmi ses activités il était, aussi, lieutenant de louveterie ? Seul titre qui me laisse un peu perplexe, car en compagnie de son ami Maginot, garde chasse (!), il n’était pas le dernier à s’en aller tirer un lièvre au gîte (al jias), hors période d’ouverture.

5. L’Antonin Reboul

Employé par son frère Albert, exploitant forestier, entre autres, Antonin était sourd de naissance, donc muet. Par je ne sais quel prodige et quelle volonté il avait acquis un langage sommaire qui sortait péniblement de sa gorge mais qui était bien compréhensible, pourvu qu’on lui accorde quelque attention.

Il avait, également, appris le langage des signes et savait lire sur les lèvres.

D’une force peu commune, il fallait le voir porter sur le dos les sacs de charbon (les couffes) qu’il livrait chez les clients dans des caves à l’accès, le plus souvent, périlleux.

Dans l’exploitation des forêts, il était le meilleur. Il conduisait le mulet pour traîner jusqu’au chemin les arbres abattus et ébranchés. Dans cet exercice particulièrement difficile et dangereux, et malgré son handicap, il n’eut et ne provoqua le moindre accident.

Il faut imaginer la souffrance d’une personne ne connaissant que l’absolu silence. Et pourtant il était toujours de bonne humeur, riant de nos bêtises de gamins… et des incartades de son frère – « Toi comme petit enfant ! » – assénait-il alors aux uns et à l’autre.

6. La Rosette

Récit de Georgette Combes

La Rosette de L’Estiénnou, robuste comme un chêne, maigre comme un échalas, était la domestique de tous.

Elle participait, comme ma mère, Camilla, à nombre de charbonnades où son aide était également précieuse.

Lorsque son neveu et sa nièce disparurent prématurément, laissant cinq enfants à élever et nourrir, elle prit les choses en main aidée dans cette lourde responsabilité par l’aînée des enfants, Marie-Rose, qui sacrifia, à cette fin, des études prometteuses à l’école normale d’instituteurs.

7. Le Pierre-du-Cal

Récit de Georgette Combes

Pratiquement une fois par semaine, le dimanche matin, un cérémonial se déroulait à la fontaine abreuvoir (naouchio) de la cime du Bleymard.

Aux environs de 7 heures, se pressentait un personnage de légende, le Pierre-du-Cal.

Il déposait sa lourde besace, après en avoir extrait quelques objets qu’il déposait sur la bordure de pierre. Il plantait dans le mur sa lourde canne recourbée qui allait lui servir de porte-manteau. Il y accrochait son large béret, son écharpe, sa lourde veste de velours, et, débarrassé de ces « pelures », il commençait sa toilette.

Retournant à l’intérieur le col de sa chemise, il s’entourait les épaules d’une serviette et alors, il fallait le voir, étalant en tournant avec son blaireau savonneux la belle mousse blanche, sur ses joues, son menton son cou. Et puis, il dépliait son rasoir, et commençait la séquence rasage. Ses doigts habiles tâtant son visage : pas le moindre carré de peau n’était oublié.

Voilà notre homme rasé !

Puisant dans l’auge l’eau, à pleines mains, il s’aspergeait copieusement pour effacer toute trace de savon, s’essuyait énergiquement, remontait ses bretelles, reboutonnait son col, remettait ses vêtements, refermait le sac. Rien ne restait sur la margelle de la fontaine.

Frais et à l’aise, il tirait de sa poche une montre à gousset qu’il ouvrait, puis tâtait du bout des doigts, la position des aiguilles.

Le Pierre-du-Cal était aveugle.

À partir de ce moment il pouvait aller à la messe.

Il s’appelait Pierre Devèze, venait de Bergognan et, colporteur, il vendait de la présure (d’où son surnom) et autre épices.

J’évoque ce sympathique personnage, avec une certaine impertinence, dans le paragraphe consacré à Noël, le Pierre-du-Cal étant régulièrement invité aux veillées chez ma grand-mère.

8. Le Manifacier

Récit de Georgette Combes

Une ou deux fois par semaine retentissait la corne du Manifacier au volant de sa camionnette, ce brave homme venant de L’Estrade, près de Villefort, apportait légumes et fruits de saison. Il s’arrêtait en des endroits très précis et attendait les clientes « Eh ! Madame, elles sont bonnes mes mananes (bananes) ! »

Ah ! La poire fondante qu’on se partageait avec ma mère !

Sa camionnette étant à ciel ouvert, il arrivait que quelques « pinels » de raisins ou  quelques reines-claudes passent plus vite que prévu dans la bouche des gamins attirés comme des mouches par la corne du Manifacier.

9. Le Peillarot

Récit de Georgette Combes

Le village recevait aussi la visite de M. Bruel, ramasseur de peaux de lapins. Le Peillarot poussait sa carriole à bras en criant à la cantonade « Pels de lèbres, pèls dé lapis, maî qué la car y siègié dédin ! » Contre quelques piécettes s’échangeait la peau du lapin, séchée, talquée et bourrée de papier journal.

10. Les « caraques »

Récit de Georgette Combes

À la belle saison, s’installaient à la Remise, près du pont bascule, les familles des gens du voyage que nous appelions « les caraques ». Les roulottes en bois joliment peint disposaient de petites fenêtres ornées de rideaux et un fin tuyau de cheminée sortait du toit. C’étaient souvent les mêmes roulottes, chaque année. On finissait par les reconnaître…

Effrayés mais curieux et intrigués, nous nous approchions lentement du campement au milieu duquel flambait un grand feu entouré de marmites et de casseroles. Pendant que les chevaux paissaient tranquillement dans le pré de la « tante Agnès », les hommes qui se disaient rémouleurs, chaudronniers, rétameurs ou vanniers s’adonnaient à leurs occupations… certains allaient à la pèche.

L’un de ces pécheurs était un véritable génie de la pèche, on l’appelait Patraque du nom de son appât préféré, la larve aquatique de l’éphémère.

Les femmes en jupons et falbalas, suivis d’une nuée d’enfants machiarats, frappaient aux portes pour proposer paniers, dentelles épingles… ou la bonne aventure… Si la maîtresse de maison refusait, la visiteuse s’éloignait en grommelant ses « sortilèges »… un signe de croix hâtif conjurait le sort !

On savait que ses oiseaux de passage avaient la main leste et la population se montrait méfiante  à leur égard.

11. Elle…

Elle est bugiadière, c’est-à-dire qu’elle lave et repasse le linge sale des familles aisées du Bleymard.

Il est difficile de décrire la pénibilité de toutes les étapes de cette tâche, à l’époque ou tout se faisait à la main et ou l’eau se charriait depuis la fontaine : manipulation de l’énorme lessiveuse, chargée de linge bouillant, qu’il fallait descendre du fourneau puis transporter jusqu’à la « boutigue », au rez-de- chaussée, où le linge était transvasé dans la tine (cuve faite de la moitié d’un tonneau de 220 litres), à la suite de quoi le linge rangé dans deux déches (corbeilles) était chargé sur la brouette et charrié jusqu’au pont de la Remise pour être descendu, « en force », par l’étroit et raidillon, jusqu’à la rivière et y être rincé, à grand coups de battoir… avant de reprendre le chemin inverse.

Elle est femme de ménage (on dit, aujourd’hui, « aide-ménagère ») chez le percepteur, chez Mme Raynal, institutrice, puis chez son fils Ricou où elle fait partie de la famille, chez M. Bros (Ah ! l’adorable Georgette davantage amie que patronne), chez M Gachon (auquel je dois tant), Mme Devèze, puis chez Mme Teissier devenue pratiquement aveugle et qu’elle accompagnera jusqu’à son admission à la maison de retraite où elle ne manquera jamais de lui rendre, régulièrement, visite ainsi qu’à la Mélie et l’Elise.

Elle est, durant « la saison », la cheville ouvrière de l’Hôtel Farges, où, avec la Marthe et sa fille Paulette elle assure aussi bien le service à table que la vaisselle et l’entretien du linge.

Elle est le bras droit du Félix Robert durant toute la période du « tue-cochon ».

Avant de participer au travail de découpage de la viande et de charcuterie, elle ira, à la rivière, laver les boyaux. Ces travaux se déroulant l’hiver, combien de fois l’ai-je vue au bord de l’évanouissement tant la douleur des doigts glacés était intense (lou gret). De tels moments se produisaient, aussi, au retour du rinçage du linge, lorsque le froid sévissait et que l’importance de la lessive ne permettait pas un rinçage à la maison. Pour ce travail elle est rémunérée, outre le repas de charbonnade, le soir, par un panier de cochonnailles diverses (lard, saucisse, moche, boudin…)

Elle est celle qui assure le travail d’un homme en cas de besoin dans les champs, pour les foins, les moissons, le ramassage des pommes de terre et le battage du blé. (Elle y sera victime, un jour, d’un grave accident.)

Elle est celle qui reste à la maison et donc soigne sa mère, jusqu’à ses derniers jours tout en s’occupant de manière admirable de ses deux enfants.

Elle est, elle est… Elle est par-dessus tout la personne la plus serviable du village :

  • un malade, elle est là pour aider la famille ;
  • un décès, elle accourt, avec la Marcelle, pour procéder à la toilette mortuaire ;
  • une famille est dans l’embarras, on l’appelle, comme chez les Maurins lors du décès prématuré des parents de cinq enfants…

L’énumération serait trop longue…

ELLE s’appelle Camilla… C’EST MA MÈRE.

  1. « Tant que Maginot sera là, la chanson tournera, la joie durera — mais quand il ne sera plus, tout s’arrêtera. » ↩︎
  2. « Ah ! Nom de Dieu ! Cette fois, tu auras ton biscuit ! » ↩︎

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