La charbonnade
De bon matin, une lessiveuse remplie d’eau est mise à chauffer à grand feu, devant la porte ou dans la cour (Chez l’Albert, le feu est alimenté par deux vieux pneus dégageant une épaisse fumée noire et une odeur épouvantable – il n’était pas encore question de pollution ni de réchauffement climatique).
Puis arrive le char à bœufs amenant le cochon, lequel pressentant un avenir assez sombre, ne ménage pas ses hurlements lorsqu’on le fait descendre du char, sans trop de précautions. Toute la famille est là avec les spécialistes : le Féliçou du Mouonti (Félix Robert) pour l’abattage la découpe et le tri des viandes, et la Camilla (ma mère) pour la confection des saucisses saucissons, boudins et autres pâtés, après avoir lavé, le plus souvent à la rivière, tripes et boyaux.
L’animal est allongé sur le banc et proprement égorgé par le Féliçou, tandis que le sang recueilli dans une cuvette additionné de vinaigre, est constamment remué, souvent par un gamin que n’émeuvent pas les hurlements du cochon.
Le cochon, devenu « porc », copieusement arrosé d’eau bouillante, est raclé pour le débarrasser de ses soies, vidé, fendu en deux parties, puis installé sur la longue table de la cuisine pour y être charcuté.
Sous la direction du Félix chacun met la main à la pâte pour un travail qui s’étalera sur toute la journée.
Lorsque les saucissons, saucisses , fricandeaux, etc. sont rangés dans les corbeilles la table est dégraissée, nettoyée et l’on passe à la charbonnade.
La charbonnade dont le nom est tiré du plat obligé de ce repas, fait de morceaux de porc cuisiné avec des pommes de terre, réunit tous le protagonistes de la journée, mais aussi des voisins parents et amis… à charge de revanche.
Les plats tous à base de porc frais, dont le pourchet en entrée, défilent tandis que les souvenirs s’égrènent : souvenirs de la grande guerre, rappel des événements les plus marquants ou les plus cocasses de la vie au village. – voir aussi la page sur les répapiades
C’est une vraie fête qui se termine tard dans la nuit par l’île flottante, le gâteau de Savoie ou tout autre gourmandise accompagnée du café dûment arrosé. Puis chacun rentre chez soi.
Le lendemain, ma mère confectionnera un pâté dont je n’ai jamais retrouvé d’équivalent, bien que, chaque année j’essaie d’en perpétuer la recette.
Le Féliçou et la Camilla, tandem inséparable pour ce travail, ont ainsi tué des centaines de cochons. Pour ces tâches qui, folklore oubli, étaient harassantes, ma mère était payée en nature ; un pli de saucisse une maoucho, un boudin, un fricandeau, un morceau de lard mescladis … aussi je pense que nous étions la famille du Bleymard qui mangeait le plus de porc frais tout au long de l’hiver !
J’ai également souvenance, que pendant la guerre, l’Albert (aidé des mêmes) acheta et fit abattre, clandestinement ( c’était l’époque des réquisitions et du contrôle économique), un cochon à Orcières, chez le Fusillet. Le produit de la charcuterie, confectionnée sur place fut acheminé, de nuit, jusqu’au Bleymard sur des luges et traîneaux de fortune, à travers le raccourci de Champredonde. Inutile de préciser qu’à cette occasion on se passa de charbonnade.
