Les Guerres du XXᵉ siècle

  1. La guerre de 1914 – 1918
    1. Généralités
    2. Récits et documents
    3. Le siège de Fort-De-Vaux
    4. Carnet de guerre
  2. La guerre de 1939 – 1945
    1. Le monument aux morts
    2. Mes souvenirs de la guerre
  3. La guerre d’Algérie
  4. Morts pour la France de Cubières et d’Orcières
    1. Aux enfants de Cubières
    2. Paroisse du Mas d’Orcières
    3. Addenda : Le chemin de croix d’Orcières

1. La guerre de 1914 – 1918

1.1. Généralités

En cet été 1914, les Bleymardois se passionnent pour le tout nouveau « Tour de France » cycliste. Ils sont néanmoins très inquiets des bruits bien sombres qui parviennent jusqu’à eux. En ce samedi 1ᵉʳ août, ils apprendront le même jour l’assassinat de Jean Jaurès et l’ordre de mobilisation générale de l’armée française.

Le père Michel, curé de la paroisse, célèbrera la grande messe du dimanche avec ferveur alors que Félix Rouvière maire de la commune attendra avec inquiétude la malle poste qui arrive de Mende vers midi. Le courrier préfectoral leur fera parvenir l’affiche de la mobilisation générale.

La commune du Bleymard compte en ce bel été 700 habitants. Les quatre années de la guerre qui s’annonce verront plus de 250 Bleymardois porter les armes. Entre le 3 et le 12 août, c’est près de 180 hommes, forces vives de la commune du Bleymard qui partiront pour Mende ou Villefort, souvent à pied, la capacité des diligences étant insuffisante.

 Ils feront la guerre sur tout le territoire, de la terre belge aux frontières de l’Alsace. Une trentaine d’entre eux ne rentrera pas. Le père Michel, le maire Félix Rouvière, et son successeur en 1915 comme premier magistrat de la commune Auguste Teissier, devront à chaque fois apprendre la terrible nouvelle à des parents éplorés.

Les familles Rieu, Pigeyre et Peytavin recevront par deux fois leur visite.

Il faut ajouter les blessés souvent handicapés à vie (Ullysse Bros, M. Reversat…) dont on peut évaluer le nombre à plus de 100.

Cette saignée des forces vives se traduit aussi, dés le début des hostilités, par un manque de main d’œuvre. Les propriétés sont exploitées par les femmes et les enfants qui pour la plupart ne vont qu’épisodiquement à l’école.

1.2. Récits et documents

Les récits et documents ci-dessous, issus des recherches de J.C. Rouvière, concernent deux Bleymardois, parmi d’autres, tués à l’ennemi : Ulysse Léopold Combes et Félix Jean Rouvière.

Les photocopies qui suivent sont des documents personnels qui concernent un survivant.

Ulysse Combes

Félix Rouvière

Albert Reboul

Ces documents, en fort mauvais état, concernent mon oncle Albert Reboul, appelé sous les drapeaux en 1911, n’ayant pas tiré le bon numéro1 (classe 10) et démobilisé en 1917 après sept ans de service militaire et de guerre et une blessure. Sept ans ! On a du mal à s’imaginer une telle épreuve : après trois ans d’un service très dur, on voit arriver la « quille »… et c’est le front, les tranchées, la boue, les poux, la peur, la mort des copains, sa propre blessure… pendant quatre ans !

François Savajols

Récemment j’ai pris connaissance d’un texte décrivant la bataille ou plus exactement le carnage, qui s’est déroulé, notamment à Dieuze, le 18 août 1914. Je savais, d’après sa fiche matricule que François Savajols, clairon au 142ᵉ RI, avait été blessé justement à Dieuze. Dans ce récit je lis que le 18 août 1914, le colonel Lamole (qui sera tué lors de cette attaque) « donne l’ordre au clairon de sonner la charge » (cf. extrait ci-dessous).

J’ai demandé à J. C. Rouvière, historien de la guerre 1914 – 1918 s’il est possible que le clairon soit notre ami François. Il me le confirme expressément.

C’est donc lui, François Savajols, qui le 18 août 1914, sonne la charge de l’attaque. Il est grièvement blessé le même jour (d’après sa fiche matricule et bien que la fiche Croix Rouge indique le 22). La désorganisation absolue des troupes françaises lors de cette funeste attaque fait que ses camarades le laissent sur place lors du reflux. Il est donc fait prisonnier et interné au stalag de Merseburg et ne communiquera plus avec sa famille.

Sans nouvelles, cette dernière demande au curé du Bleymard, l’abbé Michel de faire toutes démarches auprès des autorités, mais ce n’est qu’au début septembre 1915 qu’on est fixé sur le sort du prisonnier. Le croyant mort, ses proches eurent largement le temps de faire célébrer une messe par l’abbé Michel.

M. Savajols n’est libéré que le 25 décembre 1918 (Noël !) et reçut, plus tard, pour cette grave blessure, une pension dérisoire (240 F).

La toute première offensive française, qui fit plus de 300 000 morts fut donc lancée par François Savajols.

Les commandants de compagnie font rapidement mettre baïonnette au canon ; … tous les estomacs sont noués. À côté du chef de corps, le porte drapeau extrait l’emblème … Lorsqu’il juge que tout est en place, Lamole commande au clairon de sonner la charge … les hommes du 142ᵉ RI s’élancent emmenés par leurs officiers « En avant, à la baïonnette ». Il est environ 14h45.

Soudain, lorsque les premiers fantassins débouchent dans la forêt, l’ennemi ouvre sur eux le feu infernal de ses mitrailleuse et de ses canons … Les assaillants qui s’élancent vers le canal en vagues successives sont inexorablement fauchés.

Louis Birot témoigne : « La canonnade commence, horrible. Nous sommes tous sous le feu… les obus pleuvent. »

Le Général Castelnau appellera le 142ᵉ RI : « le régiment des braves ». Reste à savoir si un tel massacre était nécessaire, surtout après examen des circonstance dans lesquelles il s’est produit… À l’instant où Lamole lance ses hommes à l’assaut, il exécute un acte qui va se reproduire une centaine de fois pendant l’été 1914 sur l’ensemble du front.

Charles De Gaulle écrira : « Tout à coup, le feu de l’ennemi devient ajusté, concentré. De seconde en seconde, se renforcent la grêle des balles et le tonnerre des obus. Ceux qui suivent se couchent, atterrés, pêle-mêle avec les blessés hurlants et les humbles cadavres. Calme affecté d’officiers qui se font tuer debout, clairons qui sonnent la charge, bons suprêmes d’isolés héroïques, rien n’y fait. En un clin d’œil, il apparaît que toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu. »

Rappelons que les pertes françaises se sont élevées à 329 000 hommes.

Parmi les récits les plus poignants de l’enfer vécu par des Bleymardois pendant la guerre il faut ajouter le suivant.

1.3. Le siège de Fort-De-Vaux

L’histoire de quatre héros Bleymardois rescapés du siège du Fort-de-Vaux est racontée avec une grande précision et beaucoup d’émotion par Marie Luxembourg, de l’Association des Lozériens de Paris.

J’en donne ici un aperçu afin de vous inciter à aller consulter ce récit complet et combien émouvant sur le site de l’association des Lozériens de Paris (l’article n’est plus disponible mais j’ai pu retrouver une partie de son contenu).

Du 1ᵉʳ au 7 juin 1916, 250 hommes assiégés au Fort-De-Vaux résistèrent aux assauts furieux des allemands (artillerie, gaz, etc.)

Parmi ces héros se trouvaient quatre jeunes du Bleymard.

Dans la nuit du 6 au 7 juin, ses hommes étant épuisés par le manque d’eau, de nourriture, de sommeil par l’extrême dureté des combats, se trouvant à demi asphyxiés par les gaz, le commandant Raynal accepte de se rendre.

Les forces ennemies, admiratrices devant tant de courage, présentèrent les armes devant les soldats qui sortaient du fort.

Les jeunes soldats de notre village étaient :

Ullysse Bros, 22 ans

Nommé dans l’ordre de la légion d’honneur.

Il fut plus tard blessé et amputé d’une jambe. Nous avons bien connu et apprécié cet homme bon, pondéré qui exerçait le métier de coiffeur (surnom « la chose de ») et qui, d’un fouillis indescriptible,  vous extirpait immédiatement le pantalon, la paire de chaussures ou tout autre article que vous lui demandiez.

Il pratiquait, à sa manière la redistribution demandant, aux plus pauvres, un prix symbolique, ou pas de prix du tout, quitte à quelque peu surtaxer les « riches ».

À partir de 18 heures, une dizaine de jeunes venaient dans son échoppe discuter des événements du moment (tour de France, bals, etc.) Nous étions accueillis avec sa bonhommie habituelle. Pour ma part, dans cette ambiance ou les odeurs de « sentbon », étoffes, cuir, papier imprimé, etc. sont toujours dans ma mémoire. Je venais lire, pour pas un sou,  les « Détective », « Radar » et autres journaux épars sur la tablette de la partie librairie du magasin.

Je me souviens aussi de sa profonde piété et des appréciations des adultes sur la manière exemplaire dont il élevait, seul, ses deux enfants, Ullysse et Raymonde.

À cette époque, où il n’y avait aucune discrimination entre jeunes et « vieux », j’ai souvent tapé le carton avec lui, et je ne me souviens pas qu’il m’ait jamais parlé de la guerre. Au demeurant cette réflexion s’applique à tous ces anciens, qui je pense voulaient surtout oublier.

Nous avons été amis avec son fils Ullysse, qui, au décès de son père en 1954, reprit le flambeau de la coiffure et du commerce dans des conditions identiques, et avec Raymonde, animatrice des chants à l’église paroissiale.

Félix Devèze, 22 ans

Porté disparu, sera retenu prisonnier en Allemagne jusqu’en décembre 1918. Son nom est inscrit sur le livre d’or de Verdun. Employé aux chemins de fer, il venait souvent au Bleymard dans la jolie petite maison en haut du Couderc avec son épouse et notre amie Christiane.

Augustin Mourret, 21 ans

Devint lui aussi, cheminot dans le Gard puis à Paris avant de se retirer à Nîmes où il mourut en 1982.

Cyprien Robert, 19 ans

Il ne survécut pas longtemps au cauchemar de la grande guerre. Après avoir travaillé aux mines du Mazel, il décède le 20 octobre 1918.

Je ne saurai trop vous recommander, encore, la lecture de cet hommage et, surtout, sa diffusion à vos enfants et petits enfants pour que le souvenir demeure.

 Me vient à l’esprit cette phrase de la chanson Nuit et Brouillard de Jean Ferrat :

Je twisterais les mots s’il fallait les twister,

Pour qu’un jour nos enfants sachent qui vous étiez.

Enfin, et bien que ce document n’émane pas d’un Bleymardois mais du grand-père, Aveyronnais, de mon meilleur ami, vous trouverez, ci-dessous, la transcription de son carnet de guerre ainsi que le fac-similé d’une des pages de ce carnet.

1.4. Carnet de guerre

Amédée Lapeyre, dit Médou, fut mobilisé à Mende pour la guerre de 14 – 18. Il avait 43 ans ; et il était père de cinq enfants âgés de deux à treize ans ! Sur un petit carnet (format 13 x 7 cm) il a écrit au jour le jour, au crayon, sa vie militaire.

Les textes écrits par Médou ont été recopiés intégralement, y compris le titre, la ponctuation et l’orthographe, par mon ami Marcel son petit fils. Remarquons qu’il n’était allé à l’école que jusqu’à une dizaine d’années et que nombre de fautes sont dues aux conditions dans lesquelles il écrivait.

De retour de la guerre, ce carnet a été utilisé pour des notes diverses (comptes de clients, opérations), ainsi les pages non utilisées à la guerre n’ont pas été perdues !!!

Vu ses charges familiales, son âge, on comprend difficilement la résignation, le courage et la force qu’il devait avoir pour endurer cette vie qui nous paraît insupportable et inhumaine.

Quoi qu’il en soit lorsqu’on approfondit ces lignes , et entre les lignes , on ressent une forte émotion et une infinie compassion pour ces « poilus », nos aïeux, jetés dans la plus abominable des tourmentes.

« CARNET DE CAMPAGNE 1915 »

Départ de Mende     Mende le 13 janvier 1915.

le 13 janvier 1915 à 11 heures cinq minutes du matin, arrivée à Nimes le 14 une heure du matin y couché dans le wagon arrivé a Lyon le 14 a dix heures du soir, y couché dans lewagon arrivé au Bourget le 15 a 11 heures du soir y couché dans le wagon Arrivé a Mirecourt le 16 à 11 heures du soir. Y couché dans le wagon arrivé le 17 a Meault (somme) midi y couché

18   on forme la compagnie :

 19   au bois jusqu’à midi, le soir a six heures départ pour les tranchées, arrivés a huit heures a l’entrée Grand bonbardement de l’artillerie :

   20    jour de tranché boueuse :

  21  jour de tranchée pluie toute la journée ordinaire :assez bon :

  22   jour de tranchée grand envoie de marmittes boches sur les tranchée en avoir tombé une a trente metres de moi et grand bonbardement d’Albat temps très beau :

  23  avoir quitté les tranchées a 10 heures matin pour travaillé a faire de caves afin de se mettre a  l’abri des obus village se trouvant a 2 k des tranchées ; complètement démoli : rentré le soir même a Maeulte y avoir couché :

24      jour de repos a Meaulte grand bonbardement, m’est tombé une marmitte a 10 mètre au moment ou j’allais m’asseoir pour faire une lettre a la maison, parti de Meaulte a 8 heures du soir pour Senlis, arrivé a minuit y couché :

25       a Senlis  jour de vacination

26       jour de repos. Avoir ecri a Mélanie Paul et Rosine :

27      a Senlis jour de marche avoir fait 25 k :

28      De corvée a Albert  avoir travaillé toute la journée sous les marmittes allemandes :

29      Avoir creusé des tranchée toute la journée a face d’Albert :

30      Avoir passé la revue d’armes et départ pour Hauthuile :

31      A 5 heures arrivé a 9 heures petit village d’une quinzaine de maisons il n’y a pas de civils ils sont tous évacués, on est a 400 mètres des tranchées et on entend la musique toujours sur le même air. Je suis été a la messe qui a été dite a dix heures, la neige tombe a gros flocon et le vin manque. couché sur quatre paille grand froid aux pieds toute la journée :

1        Février resté a hauthuille a travaillé aux tranchées :

2        Fevrier départ pour les  tranchées du bois de thieval en première ligne a 150 mètres des boches. Toute la journée grande cannonade petite attaque dans la nuit et grand bonbardement par les cannons :

3        Avoir resté toute la journée dans les tranchées du bois de Thiéval :

4        Parti le matin a 8 heures pour rentrer dans les tranchées du château de trihval a 40 mètres de boches, grand bonbardement toute la journée, avoir eu un grand froid toute la nuit :

5        Toujours aux tranchées de thiéval grand bonbardement la matinée et s’en suit toute la journée.

6        Aux même tranchée grand bonbardement toute la journée :

7        Dimanche journée de tranchée avoir apporté le thé a neuf heures du soir dans les tranchées a 30 mètre des boches, je me suis perdu avec mon camarade et nous sommes rentré a notre gourby rien qu’a onze heures du soir, il y a eu une attaque a la Boisselle mais petite affaire :

8        Journée de tranchée au bois de thiéval il est tombé 4 marmittes boches à 10 mètres de ma casva et a blessé un nommé Souques de Millau à la jambe droite :

9         Journée de tranchée du bois de thieval grand bonbardement de l’artillerie surAuthuile ils ont tués deux cuisiniers dont un du 123 eme  et père de six enfants et l’autre du 116 me soirée assez calme :

10    journée agittée l’artillerie a bonbardé de deux a quatre il est une marmitte boche qui en passant sur notre cuisine a décapité un peuplié dont avec les débris nous avons eu du bois pour faire la cuisine pendant deux jours et a blessé un homme du 137 ° assez grièvement a la jambe et du 123°au bras :

11    journée a peu près .bombardement de l’artillerie :

12    toujours au bois de thieval journée de pluie, pas d’événement :

13    mon camaradeCouderc s’amusant a tirer au poules d’eau a chopé huit jours de prison par le commandant et est prolongé de 7 de plus par le colonel : au bois de thieval grand bonbardement sur Authuile on a tué un homme et blessé 4 :

14    il est tombé une marmitte boche dans le bureau de notre compagnie sans blessé personne et tout le personnel  est décendu a la cave :

15    grand bonbardement de l’artillerie toute la journée :

17    journée de pluie quelques marmittes boches de temps en temps :

18    journée de bonbardement par les boches ils ont couppé des arbres dans le bois pour faire la cuisine pendant huit jours a toute la compagnie mais heureusement ils n’ont touché personne

19    journée au bois de Thiéval bonbardement par l’artillerie pas d‘évènements :

20     grand bombardement de l’artillerie il est tombé un obus du 27 à 3 mètres de notre casva bléssant un homme grièvement et tombant mon aide cuisinié sans aucun mal :

21     grand bonbardement de notre artillerie et les boches non pas a peine répondu :

22     journée assez calme les boches n’on pas répondu a peine a l’artillerie :

23     journée assez tranquille avoir mangé un cassoulet avec mon camarade Prieur au moment que le bonbardement faisait son plus effet tant d’un cotté comme de l‘autre :

24     journée assez calme :

25     journée exaltés les boches ont envoyé une marmitte aux alentour des cuisines sans touché personne :

26     pas de marmitte boche du tout :

27     journée calme : nous avons mangé deux poules d’eau avec Prieur et les deux voisins Lafon on a continué la soirée avec un bon café :

28     il est tombé une douzaine de marmittes boches a cotté de nous et alors nous avons quitté ces cuisines et nous sommes installé a cotté de nos 1° lignes c’est-à-dire a 150 mètres des boches :

1 Mars 1915  installation des nouvelles cuisines nous avons eu tellement de fumée que nous n’avons rien mangé de toute la journée, on ne se voyait pas a 1 mètre :

2        journée un peu mieux pas autant de fumée il y a moyen de pouvoir y vivre les boches envoi quelque bonbes de temps en temps mélangés de quelques marmittes, belle journée comme soleil

3        belle journée comme soleil vers 3 heures du soir nous avons reçu une dizaine d’obus boches qui ont tué un soldat du 116° de ligne et blessé deux :

4         journée de bonbardement sans aucune catastrophe :

5         journée assez calme quelques marmittes boches sans aucun mal

6         journée assez calme

7         journée de pluie quelques obus sur Authuile :

8         journée calme quelques marmittes :

9         journée très froide les boches ont été très sages :grand bonbardement a Arras commencé a 9 heure du matin a continué toute la journée,

2. La guerre de 1939 – 1945

2.1. Le monument aux morts

Les renseignements sur les trois noms qui figurent sur le monument aux morts, au titre de la guerre de 1939 – 1945 sont très succincts.

C’est assez paradoxal mais dans l’immédiat nous ne pouvons apporter que les précisions suivantes :

Paul Augustin Randier est né le 11 juillet 1909 au Bleymard. Incorporé au 238ᵉ régiment d’infanterie, il meurt pour la France le 16 mai 1941. Le lieu de son décès n’est pas connu. Il est enterré dans le vieux cimetière du Bleymard (avec sa mère).
Mémoire des Hommes

François Jean Bousquet est né le 2 octobre 1913 à Saint-Julien-du-Tournel. Incorporé au 7ᵉ régiment du génie, il meurt pour la France le 26 novembre 1941 à Fuising Vambert (Allemagne).
Mémoire des Hommes

Henri Victor Rouvière est né le 27 octobre 1911 à Salins-de-Giraud (Bouches du Rhône). Régiment d’incorporation inconnu, porté disparu et déclaré officiellement mort pour la France en juin 1940. 
Mémoire des Hommes

2.2. Mes souvenirs de la guerre

Pour nous, enfants de 7 à 12 ans, la guerre n’a pas douloureusement perturbé notre quotidien.

L’école tous les jours, sauf le jeudi consacré au catéchisme et aux amusements divers… dont la guerre, avec les copains constituait l’essentiel de nos activités. Notre bande de galopins se renforça par l’arrivée de Marseille des enfants réfugiés, apport qui suscita l’échange de nos expériences rurales et citadines où parfois le pire côtoyait le meilleur mais n’en demeura pas moins très fructueux.

Plus ou moins estompés je livre ci-dessous quelques uns de mes souvenirs de cette guerre :

Mon premier souvenir se rapporte à une promenade en famille sur la route (le chemin) de Malecombe.

Au sommet de la colline, appelé Le Pérou, mes parents entrèrent en conversation avec trois militaires. Ces derniers nous amenèrent jusqu’à leur casemate dans l’obscurité de laquelle ils me permirent d’entrer. Mes rêves de Robinson étaient comblés ! Je revois encore cette hutte à demi (ou totalement ?) enterrée, recouverte de terre et de branchage. À ma demande on m’expliqua que ces soldats avaient pour mission de surveiller le ciel pour donner l’alerte à leurs chefs en cas d’apparition d’avions ennemis 2.

— La débâcle de 1940 avec l’afflux de réfugiés venus du Nord et en route vers le sud de la France ou l’Espagne pour une destination hypothétique, leur but unique : fuir.

De cette période je garde le souvenir d’une famille de Polonais que nous avions recueilli chez mon oncle et dont le fils, à peu près de mon âge tentait en vain de me raconter son aventure et ses peurs. La communauté polonaise de passage au Bleymard devait être assez nombreuse car je me souviens d’une messe animée par eux et de leurs chants somptueux.

Le souvenir, également, d’une famille de Juifs hébergés chez Mme Farges, et de leur petite fille dont nous étions tous tombés amoureux, et qui nous amena à voler une brassée de « reines-marguerites » dans le jardin de M. Alméras. Le facteur, M. Poudevigne, qui nous surprit en flagrant délit, n’apprécia pas notre galanterie, et nous le fit savoir en nous menaçant de représailles… que cet excellent homme s’empressa d’oublier.

— Aux réfugiés succédèrent les soldats en déroute avec un épisode dramatique pour l’enfant que j’étais : l’altercation, survenue à Bagnols, mettant aux prises mon oncle, ancien poilu, blessé de guerre, avec un officier par trop arrogant mais qui dut subir la comparaison de sa position avec celle des poilus.

— Puis, sans que je comprenne pourquoi et comment – je l’ignore encore – un groupe de soldats prit ses quartiers au village, chaque foyer devant héberger un ou plusieurs militaires. C’est ainsi qu’un beau matin – je revois encore la scène – deux militaires se présentèrent chez mon oncle – chez moi. Ayant appris que nous disposions du téléphone et que le combiné était isolé dans un couloir, les soldats réquisitionnèrent une des trois pièces du rez-de-chaussée, appelée pompeusement « salle à manger » pour y installer leur bureau, dit « planton » – je crois – ainsi que deux chambres à l’étage pour loger les responsables.

Ces militaires, M. Guilles et M. Wellsh devinrent rapidement des amis et, leurs tâches administratives leur laissant pas mal de temps libre, l’un et l’autre prêtèrent main forte à mon oncle dans son exploitation forestière, alors au « Crouzet » près de Bagnols-les-Bains. Un camion rutilant de l’armée – un J.M.C. je crois – conduit par M. Wells, remplaça pour un temps le tacot Ford à gazogène de mon oncle.

Je ne sais combien de temps dura cet épisode mais je me souviens parfaitement du bruit des scies et des odeurs de pin dans la forêt  du Crouzet. Pendant les vacances je suivais mon oncle partout, très fier de ramasser et d’entasser les « souquets » qu’en fin de journée on ne manquerait pas d’apporter  à la maison pour la cuisinière. J’ai également en mémoire une fabuleuse partie de pèche, dans le Tarnon avec mon oncle et les deux « soldats », ainsi que de nos intrusions, mon ami Justin et moi dans le bureau du « planton » pour utiliser et abuser de la photocopieuse chimique qui trônait sur la table servant de bureau.

L’armistice, annoncée par notre institutrice, et par les cloches, mit petit à petit fin à l’exode et fit entrer dans notre histoire locale le personnage de Pétain.

Au risque de choquer je dois dire que le héros de Verdun jouissait alors d’une unanime vénération, de la part des adultes dont la plupart des chefs de famille étaient des rescapés de la guerre de 1914 – 1918 ; mais aussi de la part des enfants.

Je ne saurai dire si l’habitude était quotidienne ou hebdomadaire, mais, le matin, avant la classe nous devions chanter l’hymne au Maréchal :

Une flamme sacrée

Monte du sol natal

La Patrie renaîtra ! (plus tard nous ajouterons, mezza voce : « Sans toi ! »)

Maréchal, Maréchal, nous voilà !

— Sous la conduite de nos maîtres, obéissant à d’expresses directives, chacun d’entre nous adressa un dessin au Maréchal et chacun reçut une réponse comportant un livret sur la vie du grand soldat avec des photographies de lui, à cheval ou a pied parmi les poilus, mais surtout une lettre « personnelle » débutant par « Mon enfant ton dessin m’a beaucoup plu », phrase qui suscita chez moi un certain étonnement, conscient que j’étais, déjà, de mes « talents » de dessinateur.

L’atmosphère qui régnait dans le village devint soudainement morose. Toutes les vitres avaient été peintes en bleul’électricité était certainement coupée, périodiquement ou en permanence, je ne le sais, mais je me souviens que mon oncle, ainsi que son voisin, l’Emile, avaient installé une batterie de camion sous la table et que le soir nous mangions éclairés par un phare suspendu au plafond. La batterie était-elle rechargée dans la journée, à la faveur d’un rétablissement momentané du courant ?

— Autre implication dans la guerre, notre maîtresse ; Mme Raynal, nous avait appris, en guise de « travaux pratiques » à tricoter des écharpes de laine pour les soldats prisonniers. Je dois à la vérité de dire, qu’à l’instar de mes copains, je ramenais, le soir, mon ouvrage à la maison pour le confier à ma grand-mère sans le concours de laquelle je crains que l’écharpe serait demeurée au stade de l’ébauche. Ma grand-mère tricotait, pour le même objectif et également pour nous, de magnifiques chaussettes au « talon renforcé », en utilisant quatre ou cinq aiguilles et selon une méthode qui reste encore pour moi un mystère.

— Entre autres faits qui demeurent présents dans ma mémoire, je peux citer l’utilisation du gazogène pour alimenter, en lieu et place d’essence, les moteurs des deux camions et des l’autobus Mende – Villefort qui constituaient la totalité du parc motorisé du village. Les imposantes chaudières, fonctionnant au bois (pour les bus), ou au charbon de bois étaient fixées sur le capot moteur au niveau de l’aile avant-droite. Avant de pouvoir démarrer il fallait allumer le combustible et attendre un bon quart d’heure que « le gaz chauffe ». C’est pendant cette opération que mon oncle stationné près de « La Remize » fut asphyxié par l’oxyde de carbone qui se dégageait de cet appareil. C’est avec la même émotion que Je le revois allongé sur le carrelage du restaurant et recevant les soins empressés et efficaces de Maxime Teissier dont on peut penser qu’il lui sauva la vie.

— Des produits autres que l’essence manquaient (tabac, café, chocolat…) mais, si nous étions dépendants des cartes de rationnement, personne, je crois, ne souffrait de la faim. Chaque famille s’était lancée dans l’élevage des lapins et une bonne partie de nos jeudis était consacré au ramassage de l’herbe les pasténailles dans les près des Saltes ou de Saint-Estémières.

Pour remplacer le café, les femmes, installées devant leur porte d’entrée, faisaient griller des graines d’orge, en faisant tourner un tambour en tôle monté sur un genre de réchaud à bois. La rue du village était remplie de l’odeur de ces grillades et même embaumée lorsqu’une chanceuse avait réussi à se procurer un peu de vrai café, vert.

Et puis il y avait l’abatage clandestin des cochons. Je me souviens notamment d’une opération de ce type menée à Orcières, chez le Fusillet (Peytavin) et surtout du transport de la carcasse, sur des luges, à travers les pentes de Champredonde couvertes de neige.

Nos repas pour être frugaux (porc pommes de terre, choux-raves, châtaignes…) n’en étaient pas moins suffisants et la distribution, à l’école, des biscuits caféinés tenait plus du symbole que d’un réel besoin.

Je pense que la denrée qui manquait le plus était le pain. Non seulement il était rationné mais fait d’une farine de composition mystérieuse qui donnait, malgré les efforts du frégade, un pain noir, lourd, pâteux et qui plus tard fut remplacé par du pain à la farine de châtaigne encore plus infâme.

— Une petite « aventure » illustre l’état de stress qui régnait au cours des années 43 – 44.

Compte-tenu des restrictions, nous avions planté des pommes de terre dans un petit champ, appartenant à ma grand-mère, situé à Coumbarnal, entre le Bleymard et Alpiers.

Par un beau jour d’été nous nous étions rendus, ma grand-mère et moi, dans ce champ pour débarrasser les feuilles des pommes de terre envahies de doryphores (nom d’un insecte tueur de patates… et surnom dont étaient affublés les Allemands).

Alors que nous procédions à notre cueillette, une longue rafale de mitraillette nous fit sursauter, d’autant qu’elle paraissait tout proche. Abandonnant là doryphores et patates, dans une course effrénée, nous nous précipitâmes vers l’ancien chemin d’Alpiers pour rejoindre le havre du village,  atteint en un temps record malgré le grand âge de ma complice (82 ans).

Mon oncle, qui comme tout un chacun, alors, ne portait ni les Allemands ni les maquisards locaux dans son cœur, nous accueillit en s’esclaffant, rigolard : « C’est un de ces « couillons » qui tirait un lièvre ou un sanglier ! Les Allemands ? Ils sont loin ! »

— Un autre événement marqua notre enfance : l’apparition des réfugies.

     
Au cours des années 43 – 44, chaque famille, non indigente, fut tenue d’accueillir un enfant de la ville (Marseille le plus fréquemment). Ces gamins étaient admis et traités comme nous, partageant nos jeux, notre inconfort, nos travaux (vachers), devenant nos copains.

Ces amis n’étaient pas meilleurs que nous à l’école, ils étaient moins bons pour traquer la truite, mais ils nous ont beaucoup appris, le meilleur comme le pire, et le brassage fut finalement très positif pour tous.

Certains sont restés attachés au Bleymard et je dois citer notre ami  Momon, qui véritablement  « adopta » ses hôtes, M. et Mme Galtier (Madagascard), et m’honora de son amitié jusqu’à sa mort en 2020.

— Pouvant être assimilée à ces Réfugiés, ma cousine germaine, Josette (que toute la famille dénommait alors Jojo) ; âgée de sept ou huit ans, vint passer une partie de l’année 1943 au Bleymard pour y être en sécurité d’une part et échapper à la disette qui sévissait à Clermont-Ferrand d’autre part.

Elle fut accueillie par ma mère et ma grand-mère, et le matin en allant à l’école, je passais chez ma grand-mère afin de la prendre en charge et de l’accompagner à l’école des sœurs. Elle participa à nos jeux, nos promenades, seule petite fille de la « cousinade » elle bénéficia de notre protection, partagea nos bêtises… et reçut sa part de réprimandes. 

J’imagine à présent l’exploit accompli par son père, mon oncle Joseph, pour l’amener de Clermont au Bleymard dans une petite remorque attelée à sa bicyclette, et surtout, l’automne venu, pour la rapatrier à Clermont par le même attelage alourdi de plus de 50kg de pommes de terre et autres choux-raves.

Ma cousine m’a raconté assez récemment, que dans les fortes descentes, son vieux vélo démuni de dérailleur et surtout ne disposant pas de freins fiables, son père attachait, derrière la remorque, un fagot de branchages en guise de ralentisseur ! Je suppose que la perspective de se retrouver bientôt tous trois réunis, décuplait forces et courage des deux aventuriers.

Pour compléter cet hommage, je m’éloigne du sujet pour dire qu’après la guerre, je fus reçu comme un prince pendant une bonne quinzaine de jours, chez ses adorables parents. Parmi d’autres bienfaits, ce séjour permit au jeune « péquenot » que j’étais, de découvrir la ville, le cinéma, les glaces en cornets des marchands ambulants… le tramway, l’humour de ma tante !!! etc.

— Sans que je puisse préciser la date (vraisemblablement en 1943), mon oncle qui était à Mende pour son travail, est réquisitionné, avec son camion par les allemands pour un transport de troupe vers Chateauneuf-de-Randon. À l’occasion d’un arrêt du convoi, au dessus de la Tourette et à la faveur de la nuit, il réussit à s’échapper en compagnie d’un autre camionneur. Laissant sur place leurs camions et leur chargement de soldats, ils dévalent le trabès jusqu’à la rivière et longeant le Lot parviennent à Badaroux où ils sont hébergés par M. Bonicel. Le lendemain, dans la cuisine, il nous racontait cette aventure, mais j’ignore comment il est parvenu au Bleymard ni où et quand il a retrouvé son camion.

Pauvre camion poursuivi par la malchance. Certainement vers la fin de l’année 1944 car je me souviens que les Allemands étaient partis et anéantis, ce sont les F.T.P. qui réquisitionnent le camion et partent pour une destination et des objectifs inconnus… Le camion sera retrouvé, hors d’usage, quelques six mois plus tard dans le Gard.

Une indemnité de 26 902 francs (environ 560 € de maintenant 3) est accordée par décision du Ministère de la reconstruction, le 24 mai 1958, soit 14 ans après.

— Autre fait marquant dans la confusion de mes souvenirs, la saisie des armes.

Une loi 4 émanant des occupants Allemands ordonnait la remise de toute arme à feu à la mairie. Je crois me souvenir que c’est au bureau de poste que les chasseurs apportèrent leurs pétoires.

Il n’était, évidemment, pas question pour mon oncle de se défaire de son fusil à cinq coups ni du Colt allemand, récupéré sur le champ de bataille pendant la Grande Guerre. Avec l’aide de son ami menuisier, le Félix Peytavin, il aménagea une trappe entre deux poutres à travers le plancher du couloir surplombant la cuisine (plafonnée). Il y dissimula ses fusils et le revolver dûment graissés et enveloppés de chiffons. Nombre de ses compatriotes se dérobèrent également à la saisie, notamment en camouflant les armes dans le foin. 

Néanmoins, j’ai vu défiler pas mal d’hommes allant faire la queue devant la poste, pour remettre aux autorités des armes qu’ils ne reverraient plus.

— Au début des vacances de 1945 je bénéficie du spectacle d’une opération sans précédent : l’échange des billets de 50 à 5000 F5.

Les possesseurs de ces billets, qui vont être supprimés, doivent les apporter au bureau de poste, gardé, en alternance, par deux adultes munis de leur fusil de chasse, pour y être remplacés par de nouveaux billets ou des bons de la Libération.

L’émoi dans le village est indescriptible car, les quelques « riches », bien que ne disposant pas d’une grande fortune, sont peu disposés à faire connaître leur « bas de laine » à l’État. Alors on fait appel aux membres de la famille et aux amis peu fortunés et on leur confie un certain nombre de ces fameuses coupures pour les échanger, à leur nom. Et l’on voit donc se présenter à la poste la quasi-totalité des chefs de famille du village dont la plupart ignoraient même, la veille, l’existence de billets aussi fabuleux.

Ce fut le cas de ma mère et de mes tantes au « profit » de mon oncle qui pourtant ne roulait pas sur l’or, mais partageait avec ses semblables, une forte défiance envers l’État.

Depuis j’ai su que cette astuce ne fut pas l’apanage du Beymard et que l’initiative du ministre des finances, M. Pleven, exécutée les 4 et 5 juin 1945 avait bien pour objectif essentiel, de « dresser un cadastre des fortunes et de démasquer les profiteurs de guerre et du marché noir ».

Aux yeux des enfants du Bleymard la guerre se vivait, un peu, comme une simple aventure jusqu’à ce que survienne la courte mais dure occupation des Allemands et la grande peur qui s’empara de tout le village lors des événements des 17 et 20 août 1944 relatés plus bas avec des témoignages plus fiables que ceux d’un enfant. – voir aussi La fin de la guerre

3. La guerre d’Algérie

Cette dernière guerre a touché un grand nombre de jeunes du Bleymard appelés ou rappelés sous les drapeaux, et qui durent s’expatrier pour connaître sur une terre hostile angoisse et dureté des combats. Ils s’appelaient : Jean ou Jeannot, Paul, Fernand, Justin, Camille, Yves… un d’entre eux n’est pas revenu, il s’appelait Jean Buisson, on l’appelait Jeannot, c’était mon cousin.

 Jeannot était né au Bleymard, le 17 juillet 1936, septième enfant d’une famille de huit. Il avait suivi, avec succès, la formation de boulanger-pâtissier et se destinait à prendre la suite de son père et de ses aïeux boulangers au Bleymard depuis trois générations. Il fut tué à Bône le 21 octobre 1957 à l’âge de 21 ans.

Le 8 janvier 1958 ses obsèques sont célébrées au Bleymard. Les allocutions ci-dessous du Maire et du Conseiller Général témoignent de l’émotion partagée par tout le village :

Hommage d’Albert Reboul – Maire :

Le 23 octobre dernier, le Bleymard était plongé dans la consternation en apprenant la fin tragique de l’un des siens en terre de combat.

Aujourd’hui, la foule nombreuse venue t’accompagner, une dernière fois, témoigne de la sympathie que nous te portions tous.

Qui m’eut dit, lorsque tu passais le conseil de révision, que tu ne devais plus nous revenir ; Nous attendions au contraire que tu reviennes avec toutes les compétences professionnelles que tu avais acquises en apprentissage, et qui faisaient de toi le bon ouvrier. À chacune de tes visites nous avions pu apprécier, nous aussi, la générosité alliée à un solide jugement qui émanait de ta personne.

Au cimetière de Bône, ton lieutenant pouvait dire avec raison : « On pouvait vous citer en exemple ». En Algérie, tu avais acquis la confiance de tes chefs et de tes camarades de combat.

Mais les voies de Dieu sont impénétrables, nous devons nous incliner devant le mystère de ses desseins. Il saura, lui, te récompenser de tous tes mérites. Nous te demandons d’intercéder auprès de lui pour adoucir la peine des tiens et notre peine à tous.

Au nom de la population Bleymardoise, à toi cher Edouard et à vous tous ses fils et filles j’adresse mes condoléances les plus sincères, et comme tout à l’heure, dans l’église de ton baptême, mon cher Jean, je te dis au revoir. Ce n’est qu’un au revoir.

Hommage de Joseph Caupert – Conseiller Général :

En ce jour, il m’échoit un bien douloureux devoir, celui de venir, au nom du canton du Bleymard, saluer la dépouille mortelle du soldat Jean Buisson et dire en tant qu’amis de la famille, toute la peine que nous ressentons devant ce terrible malheur.

Jean Buisson était parti en Algérie, au service de sa Patrie, pour rétablir la paix dans ce pays. C’est certes un immense pari, mais rien ne se fera aussi longtemps que la haine et les armes creuseront le fossé entre les diverses communautés et que les familles française ou indigènes pleureront leurs fils.

Nous devons souhaiter de toutes nos forces l’arrêt de cette guerre fratricide. Mais ce que nous devons exiger, c’est que la mort de ces jeunes, nos fils et nos frères ne soit pas vaine. La France doit trouver une solution digne d’elle et de son glorieux passé. Elle doit promouvoir la création d’une communauté de peuples où chaque homme, chaque femme, quelle que soit sa race ou sa religion puisse vivre et se développer dans la liberté et la dignité.

Ah ! Mes chers amis, vous aviez caressé le doux rêve de revenir au Bleymard avec ce fils qui, en prenant votre suite, aurait fait refleurir la boutique du grand-père Buisson. Hélas cela ne sera pas.

Vous ne conserverez de ce fils que ces dernières photos de soldat en sorte que son souvenir soit perpétué.

Aujourd’hui, permettez-nous de nous associer à votre peine et votre deuil. Que nous soient une consolation les mots du poète qui dit : « Heureux ceux qui sont morts pour les cités charnelles car elles sont le corps de la cité de Dieu. Heureux les épis mûrs et le blés moissonnés ».

Ceux qui, pieusement, sont morts pour la patrie

Ont droit qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie.

Entre les plus beau nom leur nom et le plus beau.

Et, comme ferait une mère,

La voix d’un peuple entier, les berce en leur tombeau.

— Victor Hugo

Colonel Gribius Commandant du 4ᵉ RCC. SOUSSE

Près de 60 ans sont passés depuis la disparition de nos deux amis.

Mais, depuis 2008, année de son élection à la présidence du comité cantonal de la F.N.A.C.A., Yves Mouret avait la volonté de faire ériger une stèle en souvenir de ses camarades du canton, « Morts pour la France » en A.F.N. à savoir : Jean Buisson et Maurice Chalvidan.

Après de multiples démarches et interventions grâce à l’obstination du Président ainsi qu’à l’aide précieuse des maires du Bleymard, Clause Bergonhe puis Bernard Folcher, de Mme Evelyne Mouret maire du Mas d’Orcières, de la F.N.A.C.A. et surtout de Mme la conseillère-générale Marjorie Massador, l’érection de la stèle est enfin décidée.

La plaque réalisée par le talentueux artiste J. C. Paulhiac, est érigée à côté du magnifique monument aux morts, œuvre, également du même ferronnier d’art.

Le dimanche 12 0ctobre 2014, c’est une foule considérable qui se presse à l’inauguration de cet hommage rendu à nos jeunes compatriotes fauchés à l’aube de leur vie.

Dans l’église pleine à craquer, une messe solennelle est concélébrée par M. le curé de la paroisse, Gilbert Vialle et l’abbé Maurice Buisson frère de Jean, entourés des 23 porte-drapeaux.

Cette célébration est particulièrement marquée, à mon sens, par le discours de notre maire, Bernard Folcher, soulignant la genèse et l’esprit de ce mémorial et par la remarquable homélie de l’abbé Vialle, lui même ancien combattant évoquant la mémoire de nos deux amis mais aussi celle des 42 lozériens et des 30 000 français disparus au cours de la guerre d’Algérie. Étendant son propos aux victimes de toutes les guerres il insiste alors, avec force sur l’impérieuse nécessité et le devoir de tous les hommes de lutter pour la paix.

Les quelques extraits ci-dessous traduisent la conviction et l’ouverture d’esprit qui se dégagent de cette intervention.

… tu aimeras ton ennemi ! …

… ceux et celles dans notre assemblée pour qui les doutes l’emportent sur la lumière de la foi, soyez remerciés de votre présence …

… aujourd’hui leur absence fait mal à leurs camarades d’enfance de Cubières ou du Bleymard …

… leur souvenir vivant nous appelle à parler et agir, à affirmer, avec force que la guerre est cruelle, que la guerre c’est l’enfer …

… la paix se réalise quand nous acceptons de nous connaître, de nous comprendre, de nous écouter et de nous pardonner …

… [la paix] n’a jamais fini de se chercher de se construire …

… nous anciens d’A.F.N. qui avons vécu dans notre chair et dans notre cœur des situations que nous ne voulions pas … nous avons aussi le devoir d’aider notre nation à se laisser pardonner et à pardonner … et faire advenir la civilisation de l’amour …

Discours du maire, Bernard Folcher

Puis, c’est l’inauguration sur la place de l’église noyée sous une pluie torrentielle. Néanmoins – et il faut rendre hommage aux acteurs : pompiers, gendarmes, porte-drapeaux, etc. – tout se déroule dans une excellente atmosphère.

Après le salut aux drapeaux, le maire et Yves Mouret dévoilent la plaque, la foule se recueille pendant l’exécution de la sonnerie aux morts, puis d’une seule voix entame La Marseillaise tandis que la pluie et la grisaille redoublent d’intensité comme pour se mettre à l’unisson de l’émotion et de la tristesse qui étreignent nos cœurs à la pensée de ces enfants sacrifiées par la folie meurtrière des hommes.

Les participants se réunissent ensuite à la salle des fêtes où la municipalité les convie à un vin d’honneur. Dans une atmosphère plus détendues les autorités invitées rendent à leur tour hommage aux morts de la guerre d’Algérie.

La conseillère-générale Marjorie Massador, le député Pierre Morel L’Huissier et le sous-préfet se succèdent à la tribune pour évoquer la mémoire de Jean et Maurice ainsi que des 42 Lozériens et des 30 000 Français victimes de la guerre d’Algérie.

Je retiens quelques paroles fortes et particulièrement poignantes prononcées par l’ami Yves Mouret.

… Cette guerre injuste et fratricide … s’appelait alors « pacification », « maintien de l’ordre ». Il a fallu attendre 1999 pour que ces actions soient reconnues et prennent le terme de « guerre » …

… Faite de larmes et de sang, la guerre d’Algérie doit s’écrire avec une plume et non une gomme …

… Nous qui avons eu la chance de revenir de cette guerre, à jamais marqués par cet épisode de notre vie [plus loin, Yves évoquera ceux qui n’ont jamais pu reprendre la vie civile passant le reste de leur vie brisée dans les hôpitaux], nous avons le devoir et l’obligation de leur rendre hommage et perpétuer leur souvenir …

Le poème que Guillaume Apollinaire écrivit à l’âge de 16 ans, lui qui devait, également, périr au champ d’honneur de la guerre de 1914 - 1918, me revient en mémoire dans son émouvante simplicité :

C’est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit

Le dormeur du valGuillaume Apollinaire

4. Morts pour la France de Cubières et d’Orcières

Bien que le présent site soit consacré au seul village du Bleymard, je pense qu’il est juste d’honorer, en quelques lignes, les combattants, morts pour la France, des villages frères de Cubières et Orcières.

Dans ces deux villages, il n’existe pas de monument aux morts, mais des plaques commémoratives, situées dans les églises nous rappellent les noms de ces combattants.

C’était également le cas, au Bleymard, jusqu’en 19996, année qui a vu la création du très beau monument actuel par l’artiste local ferronnier-sculpteur, J. C. Paulhiac. Jusqu’à cette date, le seul hommage était donc celui de la plaque de l’église, maintenant les deux cohabitent.

Il faut bien comprendre, qu’à l’époque, l’érection d’un monument aux morts n’était pas une mince affaire dans beaucoup de communes, notamment sur le plan financier.

La communauté religieuse se substituait, alors, à la commune pour perpétuer le souvenir de ses morts sur une plaque de marbre financée par les cotisations des paroissiens.

Une telle particularité a pu poser problème dans certaines communes, multiconfessionnelles, dans lesquelles la plaque de l’église catholique ne comportait que les noms des morts de cette confession.

Ce n’est le cas ni au Bleymard ni à Cubières ni à Orcières et j’en veux pour preuve la stricte correspondance, au Bleymard, des noms figurant sur les deux monuments (même si à Orcières le monument est titré : « morts de la paroisse du Mas d’Orcières »).

Précisons :

  • Que 40 enfants de la commune Cubières sont restés sur les champs de bataille de la guerre de 1914 - 1918, un est mort à la guerre de 1939 - 1945, un a laissé sa vie à la guerre d’Algérie.
  • Que 29 soldats de la commune d’Orcières qui ont péri pendant le massacre de 1914 - 1918 et que la guerre de 1939 - 1945 a fait une victime.

Vous trouverez ci-dessous les noms de ces héros dans l’ordre où ils ont été gravés dans le marbre (et dont certains sont plus ou moins lisibles).

Aux enfants de Cubières

AUX ENFANTS DE CUBIÈRES
MORTS POUR LA FRANCE

Marius BOISSIER

Augustin GAILLARD

Justin GAILLARD

Jean ROUX

Marius ROUX

Eugène FOLCHER

L. Cyprien PEYTAVIN

Félix REBOUL

Alphonse REBOUL

Hippolyte REBOUL

Antoine TALAGRAND

Augustin NOUET

Marius SIAUD

Félix BOIRAL

Augustin BOIRAL

Marius SIRVINS

Auguste PEYTAVIN

Théophile QUET

Jean NOUET

Joseph BOISSIER

Ernest PIGEYRE

Louis PIGEYRE

Maurice PEYTAVIN

Augustin PRIVAT

Odilon PRIVAT

Julien FERRAND

Camille TALAGRAND

Antonin BARGETON

Félix VIDAL

Cyprien PEYTAVIN

Pierre QUET

Honoré QUET

Louis AVIGNON

Emile VINCENT

Julien PONS

Hippolyte BOISSIER

Félix SIRVINS

Silva BEYS

Félix FOLCHER

Alphonse PELORJAS

GUERRE 39 - 45
REBOUL Albert
MORT POUR LA FRANCE
LE 6 - 4 - 44
NEWOTTING (ALLEMAGNE)

 GUERRE D’ALGERIE
CHALVIDAN MAURICE
MORT POUR LA FRANCE
LE  1 - 2 - 55
ENFIDAVILLE (TUNISIE)

Paroisse du Mas d’Orcières

PAROISSE DU MAS D’ORCIÈRES
À NOS SOLDATS MORTS POUR LA FRANCE

MOURET Joseph, Caporal d’ORCIÈRES 1914

RODIER Urbain du CAYRE

DAUDE Léon de SERVIÈS

FOLCHER Louis de SERVIÈS

PEYTAVIN Cyprien du CHEYROUX 1915

VEYRUNES Émile d’ORCIÈRES 1914             

VEYRUNES Félix d’ORCIÈRES 1915

BONNET LOUIS de VAREILLES

MOURET Théophile de SERVIÈS

MOURET Augustin d’ ORCIÈRES

MOURET Maurice d’ ORCIÈRES 1917

BROS Marius de SERVIÈS 1914

BROS Victor de SERVIÈS 1916

LAURENT Jean de VAREILLES 1915

FOLCHER Casimir du MAZEL 1914

FOLCHER Louis de VAREILLES 1915

Abbé MOURET Cyprien, Caporal du MAZEL

MARTIN Augustin du  CAYRE 1916

COMBES Théophile, sergent de MALAVIEILLE

TALAGRAND Marius, caporal  du MAZEL

JOUVE Ferdinand du MAS

BEYS Camille du MAZEL

RODIER Augustin du CAYRE 1917

Abbé RICHARD Jean, caporal du MAZEL

TEISSIER Louis de SERVIES

CHAPTAL Auguste de SERVIES

MONTANIER Albert de SERVIES 1915

GILLES Charles du MAZEL

ALMERAS Pierre de SERVIES 1917

REQUESTCAT IN PACE.

1939 - 1945
MÉJEAN Louis

Addenda : Le chemin de croix d’Orcières

Au dessus du monument aux morts j’ai eu le plaisir de voir et d’admirer les stations du splendide chemin de croix qui se déroule tout autour de l’église.

Les dessins de ces tableaux sont l’œuvre de Suzy la fille d’Emilienne Bresson, récemment disparue. Les peintures montrent l’éclatant résultat de la collaboration de plusieurs artistes locaux dont notre compatriote : Huguette Gaillard.

C’est donc pure coïncidence si j’évoque ces tableaux dans un chapitre consacré aux guerres du XXᵉ siècle.

Cependant, à la réflexion, une telle rencontre n’est peut être pas aussi incongrue qu’il n’y paraît.

Le chemin de douleur conduisant un homme vers la croix du supplice est-il tellement éloigné de l’effroyable parcours de tous ces enfants envoyés à la mort par la folie des hommes ? … À chacun d’en juger.

Quoiqu’il en soit, les photographies de quelques uns des tableaux sont visibles ci-dessous, mais une visite sur place est vivement conseillée.

  1. n’ayant pas tiré le bon numéro : lors du conseil de révision, un tirage au sort était organisé et quelques bons numéros avaient pour effet de dispenser de service les heureux gagnants. Cette pratique avait pour conséquence un trafic de numéros : les plus aisés, n’ayant pas le goût de l’armée, achetaient aux plus pauvres les bons numéros si la chance leur avait souri. ↩︎
  2. En fait, devant la menace d’Hitler d’envahir la Tchécoslovaquie, le 23 septembre 1938, la France appelle sous les drapeaux, les réservistes et certaines classes. Dans ce cadre des postes de guet sont disséminés dans 20 localités du département en vue du « repérage des avions ennemis et de la coordination des faits observés ». Le poste du Pérou était un des éléments de ce dispositif. L’alerte prit fin le 30 septembre avec les célèbres et désastreux accords de Munich. ↩︎
  3. 26 902 F de 1958 représentent 561,61 € en pouvoir d’achat de 2024 d’après le calculateur de l’INSEE ↩︎
  4. J’ai su, depuis, qu’il s’agissait des lois des 7 août et 13 décembre 1942 punissant de mort la détention ou le transport de toute arme à feu ou munitions y compris de chasse. ↩︎
  5. 50 F et 5000 F de 1945 représentent respectivement 7,55 € et 754,81 € en pouvoir d’achat actuel de 2024 d’après le calculateur de l’INSEE ↩︎
  6. Date probable, à vérifier. ↩︎

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