Noël et Pâques

  1. Noël
  2. Pâques

1. Noël

Les fêtes de Noël sont désormais marquées par les illuminations des rues les cohues dans les magasins décorés, pour se terminer par un somptueux réveillon bien arrosé suivi d’une débauche de cadeaux… que certains s’empresseront de revendre, le lendemain, sur la toile !

Quel contraste avec la ferveur, la naïveté et l’atmosphère de bonheur simple (on qualifierait maintenant cela de simpliste) qui entourait Noël aussi bien chez les enfants que chez les adultes, chez les croyants que chez les sceptiques.

Comment ne pas évoquer ces Noëls de neige, de vacances, de jeux dans les rues du village où seul un chemin de quelques dizaines de centimètre, creusé, dans l’épaisseur de la neige (la chialade) permet de circuler. Il y a aussi la crèche disposée au dessous de la chaire à l’église, la crèche (encore plus belle !) dans la maison de ma grand-mère… le passage obligé au confessionnal l’après-midi du 24.

Le repas du soir, le souper, est promptement expédié et la veillée commence.

Chez ma grand-mère la grande cheminée chauffe et en même temps éclaire la pièce commune. Le soir de Noël l’âtre est occupé par l’énorme tronc de fayard, réservé à cette nuit et qui devra tenir jusqu’au matin.

La veillée s’étire jusqu’à  minuit moins le quart. En plus de la famille y est invité un chemineau aveugle, dit « Le Pierre du Cal » (qui gagne sa misérable vie en vendant, au porte à porte, la présure nécessaire à la confection des « caillades », tomes et autres « rébarbes »). Sa présence déclenche de fréquents éclats de rire car il lâche, selon des intervalles variés, objets de nos paris, des rafales de pets dont nos rires ne parviennent pas à cacher la sonorité, pas davantage que l’odeur du bois qui crépite dans la cheminée ne peut en masquer les redoutables fragrances.

Vers 11h30 le bruit familier des sabots que l’on frappe pour faire tomber la neige nous fait émerger d’une certaine torpeur : ce sont les tantes et cousins d’Alpiers et Valescure qui viennent nous embrasser avant la messe (ils passeront boire le café, à la sortie).

À minuit moins le quart départ pour l’église dans la rue enneigée où se presse la foule des Bleymardois et des habitants des villages de la paroisse, dont, au long de la soirée, nous avons pu voir le cheminement des lanternes perçant la nuit le long des chemins qui convergent vers le village.

L’église, archi comble, nous accueille sur l’air somptueux du Minuit Chrétiens, chanté, à pleine voix, du haut de la tribune, par le Rabet ou le Mouonti ou le père Quintin, et repris, au refrain, par toute l’assistance. Quelle émotion ! Plus tard, lors d’un congé pris en hiver, c’est la voix sublime de mon ami (qui disparaîtra à la fleur de l’âge) Denis Poudevigne, qui nous donnera la chair de poule.

La messe est longue, longue, pour notre impatience, elle s’éternise avec les trois messes basses, chères à Alphonse Daudet. Elle est, heureusement entrecoupée de moments de ferveur et de joies partagées pendant l’Adeste Fidèles, le Gloria, et, pour moi, surtout l’Ave Maria de Gounod interprété magistralement par ma marraine et tante Rosa dont la beauté de la voix n’est certainement pas étrangère à la naissance de mon amour immodéré du bel canto.

Le signal de la fin est donné par Il est né le divin enfant clamé par toute l’assistance. La rue à nouveau est pleine de monde, de cris et de rires… le trajet jusqu’à la maison, entrecoupé de boulchiades dans la neige, est long mais nous parvenons, enfin à nous retrouver autour de la table, devant un bol de chocolat fumant que ma mère à pris soin de laisser mijoter au coin du feu. J’en ai encore le goût insurpassable dans la bouche !

Encore quelques bavardages avec les cousins qui nous ont rejoint, mais les yeux sont lourds, il est temps de mettre galoches, sabots ou pantoufles dans la cheminée avant de se mettre au lit avec une bouillotte ou une brique brûlante enveloppée de papier journal (les plus chanceux se glisseront dans des draps délicieusement chauffés par le moine).

…et le matin de Noël finit par arriver ! Inutile de nous sortir du lit, toute la famille est groupée devant la cheminée et je crois que les yeux des adultes brillent tout autant que les nôtres. Oh, il n’y a pas la débauche de cadeaux que nous connaissons aujourd’hui. Mais l’orange, les « papillotes », parfois un livre de « la bonne presse » (le Chardon Royal, la Haine du Brahmane…), Les Pieds Nickelés et un jour, miraculeux, un petit train mécanique et ses rails ! Tout nous comble de bonheur… et de gratitude le jour où nous ne croirons plus au Père Noël.

La matinée passe, nous avons retrouvé les copains et nos jeux dans la rue assoupie. À midi il y aura le délicieux repas de famille, préparé par ma mère, avec le gigot acheté la veille chez la Félicie du Mouonti, les œufs mimosa, les flageolets et l’incomparable crème chantilly montée avec la burade fraîche recueillie à la cuillère à la surface du lait.

« Encore un Noël de passé » s’apostrophent les passants au dessous de la fenêtre, « A l’on qué bé e sé sén pas maï qué sian pas méns !1 »

Je pense, tout à coup, à cette réflexion de Jean d’Ormesson : « Avant les hommes étaient moins bien mais je crois qu’ils étaient plus heureux. »

2. Pâques

Autre événement marquant l’année : la fête de Pâques. Cette fête qui marquait le début des vacances se distinguait nettement de Noël. Certes y régnait également une grande spiritualité et une de nos plus importantes réunions de famille, mais autant Noël était empreint de poésie et de silence, accentués par le manteau de neige qui enveloppait le pays, autant les fêtes de Pâques se caractérisaient par un parti pris théâtral accentué par l’éclosion du printemps.

  • Le Mercredi des cendres, on devait se lever tôt pour aller, à jeun, à l’église y recevoir, sur le front, apposée du pouce par le curé, la croix de cendres qu’il convenait de ne jamais effacer : « Tu es poussière tu retourneras en poussière. »
  • Le Jeudi saint, les cloches étant parties, nous tous, gamins parcourions le village armés de crécelles plus ou moins sonores, pour inviter les paroissiens à assister à la cérémonie, ô combien interminable, du Chemin de la Croix.
  • Le Vendredi saint, mort de Jésus, journée de jeune et d’abstinence.
  • Arrive le Samedi, toujours alertés par nos crécelles, les paroissiens et nous-mêmes, participons à la veillée pascale dans une église sombre, aux statues voilées de noir, puis soudainement illuminée pour symboliser la résurrection.

C’est enfin le Dimanche de Pâques, essentiellement marqué dans mon souvenir par :

  • l’inhabituelle présence des hommes à la messe et à la table de communion et notamment celle de l’Emile Devèze, père de mon ami Justin et anticlérical, lequel revêtu d’un costume – lui qui était toute l’année en bleu de travail – appelait mon oncle au passage pour cheminer ensemble vers l’église ;
  • la cohue à la sortie de la messe, puis, chez ma tante, la dégustation des manouls incomparables de la Félicie, l’oncle ses frères, l’Emile, le Paul et moi attablés dans la cuisine dégustant ces trésors dans des assiettes sortie brûlantes de four avec, pour en faciliter la descente, quelques bouteilles de « Bourgogne aligoté » ;
  • le repas de midi concocté par ma mère qui nous réunissait tous, autour de la table déployée du mur, pour déguster après les œufs mimosa le succulent gigot… puis la crème chantilly maison dans les assiettes décorées de scènes champêtres et dont j’ai encore en moi la vue et le goût ;
  • sans oublier qu Pâques était aussi l’occasion d’« étrenner » un vêtement (veste, pantalon, chaussure… ou rien) ;
  • sans omettre non plus que, malgré ce qui vient d’être décrit, nous étions, des gamins ni pires ni meilleurs que ceux de maintenant, que, si le terme avait été usité, notre foi, certes, sans réserve ne nous aurait pas interdit de trouver « chiantes » certaines cérémonies (ah ! les lamentations de Jérémie !) quelque peu « agrémentées » de nos rires et bavardages.

Les mimosas mis à part je n’ai aucune souvenance d’œufs en sucre ou chocolat.

En revanche, le samedi après Pâques, je revois ma mère faire bouillir quelques douzaines d’œufs dans une immense peirolle, remplie d’eau teintée en bleu ou rouge à l’aide du produit utilisé pour teindre la laine achetée brute ou les vêtements délavés (bonjour la pollution). Le dimanche, appelé Pachiettes ; nous irions, grand-mère, tantes, oncles, cousins faire sauter les œufs dans le pré du Pont de Chiagounes. Les œufs qui finissaient par se casser seraient ensuite dégustés, à exception de ceux remis crus à mon oncle, qui s’escafigiaient, sous nos rires à la première lancée.

Ainsi se terminait Pâques, dans les rires, la joie, le bonheur d’être ensembles… mais le lendemain c’était la rentrée.

« Que reste-t-il de tout cela ?  Dites-le-moi ! » regrette le grand Charles Trenet… les sports d’hiver, le tourisme, l’individuel et la chasse aux œufs ? Cette dernière coutume perpétuant un véritable lien avec Pâques « dur et inerte à l’extérieur comme le Saint Sépulcre, l’œuf renferme une vie prête à éclore, celle de Jésus ».

Il reste aussi Dieu et Charles, merci :

Un petit village, un vieux clocher,

Un paysage si bien caché,

Et dans un nuage le cher visage

De mon passé .

  1. « Allons, que tout aille bien, et si ce n’est pas mieux, que ce ne soit pas pire ! » ↩︎

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