Divertissements
Le titre est quelque peu prétentieux. Les spectacles se limitaient à l’obligatoire bourrée, aux saltimbanques notamment le montreur d’ours (voir photo ci-dessous), les séances récréatives présentées à la salle des frères par les jeunes des écoles catholiques, etc.

1. La fête votive
La fête votive est tenue par les jeunes du village, atteignant leur 17ᵉ ou 18ᵉ anniversaire dans le but essentiel de se payer un voyage.
La fête a lieu dans la rue principale puis, le soir, au « pré de la tour ».
Dés l’aube, le pick-up installé dans la cordonnerie de M. Combes (le Milou) envoie dans les puissants haut-parleurs, accrochés aux façades les « tubes » de l’époque (la Java Bleue, mon Amant de St Jean, le Petit Vin Blanc…) et des bourrées.
À la sortie de la messe (allongée par une interminable procession autour du village) c’est la vente des cartons numérotés promettant de gagner une délicieuse fougasse du « Frégade », attribuée par une roue confectionnée, je crois, par Marcel Maurin à base d’une roue de vélo, de clous et de baleines de corset.
Vient ensuite, au Bleymard et à Saint-Jean, la distribution des fameuses fougasses à bord d’un camion (de l’Albert ou de l’Henri) puissamment sonorisé et conduit – sans permis – par l’un d’entre nous.
L’après-midi et jusqu’à très tard dans la nuit, c’est « le pré de la tour » qui tient la vedette. Seuls le plancher pour le danseurs le pick-up parfois l’orchestre musette sont « importés », le reste : buvette (couverte), stands divers… sont confectionnés par les cinq à six copains en charge de la fête. Comment ? Des piquets enfoncés dans le sol, des bâches, des cordes, des clous et surtout des « croutes » de scierie, le tout fourni, pour l’essentiel par le Marius Pons (le Marius de l’auousel).
L’animation comprend également un concours de quilles et de pétanque, sous « mamé-jeanne » ainsi qu une course de vélo autour du village systématiquement gagnée par le Roger Savajols.
L’affluence est record et bon enfant, le pastis, le « rivesalte » et autre petits vins blancs coulent à flot.
Parfois pour nous aider à augmenter la recette, car il faut bien l’avouer notre entreprise était pour une large part, à but lucratif un quarteron de « vieux », déguisés en encore plus anciens, organisent une bourrée (cf. photo ci-dessous).
Lors d’une mémorable fête (1947 ou 1948), les organisateurs firent appel à mon cousin Joseph pour jouer « le fakir » et augmenter quelque peu le recette (cf. plus loin au chapitre Répapiades).
2. La fille de l’aveugle
La fête votive du village ne constituait pas la seule distraction. D’abord il y avait les fêtes similaires dans les villages voisins, les parties de cartes belotes, les palabres dans la rue, les promenades le soir sur la route de Saint-Jean, sous-mamé-Jeanne ou vers le col des Tribes. Il n’y avait pas de cinéma mais des spectacles étaient donnés à la « salle des œuvres »1 soit par des professionnels (les prestidigitateurs Bosco ou Mario) soit par des amateurs du village présentés par les instituteurs de l’école laïque aussi bien que par les abbés s’occupant de la jeunesse.
L’affiche, ci-dessous date d’une époque que je n’ai pas connue (vers 1900 / 1910) mais des noms et des titres me sont familiers : F. Combes, F. Farges, J. Balez…). Je suis persuadé que certains Bleymardois y retrouveront le nom d’un de leurs ancêtres.

SÉANCE RÉCRÉATIVE
Donnée par les jeunes gens du Cercle d’Études du Bleymard
Dimanche 6 février
à 6 heures du soir (vraisemblablement vers 1930)
Salle de l’ancien dortoir des Frères
PROGRAMME
Rira bien qui Rira le dernier
Comédie en 2 Actes par G. de Grandmorin
M. Desvalettes, riche propriétaire … J. Talagrand
Fernand Morinières, neveu de M. Desvalettes … E. Buisson
Lucien Fourmental, neveu de M. Desvalettes … F. Privat
Ernest Duthèque, ami de Morinières … P. Rieu
Henri Laminute, ami de Morinières … A. Nouet
Bob, domestique … F. Buisson
Mathurin, autre domestique … U. FolcherUn jeune homme difficile à marier
Comédie-Bouffe en 1 Acte inédite
M. Dubonnet, rentier … E.Bataille
M. Georges, son fils … F. Combes
Achille Finot, cuisinier … A. Randon
Eugène Lucas, valet de chambre … J.-B. Buisson
Pancrace Gasconnot, garçon de café … J. BalezEntr’Actes
Les 4 prunes, Grande parade à 2 personnages … F. Farges et A. Randon
Pauv’ p’tit gas, Chansonnette … C. Devèze
La fille de l’aveugle, romance … F. Farges
Grosjean n° 2, monologue comique … J.-B. Buisson
La pipe du commandant, ch. militaire com. … L. Reboul
Montagnes Lozériennes, choeur, par. et mus. de De Lair et de SavignyPrix des places : Grandes personnes, 0,25 – Enfants, 0,10
Je remarque, notamment, La fille de l’aveugle chantée par Félix Farges (le tailleur). Cette chanson figurait au répertoire de jeunesse de mon grand-père (vers 1880). Selon ma mère et mes tantes, il l’aurait enregistrée, sur rouleau, lors du passage d’un reporter au Bleymard (malgré mes recherches je n’ai jamais pu mettre la main sur ce rouleau). À chaque fête de famille, elle était chantée par ma mère et mes tantes. Il y a une dizaine d’années mes petites filles m’ont fait la surprise de me la chanter et la modeste vidéo peut être vue ci-dessous. Oserais-je suggérer à notre belle chorale de la faire revivre ?
J’ai senti dans ma chevelure
La brise odorante du soir
L’été prodigue à la nature
Son parfum, sa fleur, son espoir,
Pendant qu’une magique lyre
Vient s’éveiller sous mes pas.Je pense qu’elle doit être belle
Oh oui mais je ne la vois pas,
Je pense qu’elle doit être belle
Oh oui oh oui mais je ne la vois pas.Quand pour le bal toute parée
Ma fille vient baiser mon front
Mon cœur la suit à la soirée
Et je me dis qu’ils l’a verront
Si quelqu’un murmure « ah c’est elle »
Je tressaille au bruit de ses pas.Je sens qu’elle doit être belle
Oh oui mais je ne la vois pas,
Je sens qu’elle doit être belle
Oh oui oh oui mais je ne la vois pas.Elle est là sans cesse à toute heure
M’entourant de ses soins pieux,
Elle pleure lorsque je pleure
Et sa gaieté me rend joyeux.
Quand viendra ma dernière aurore
Je voudrai mourir dans ses bras.Je pourrai l’embrasser encore
Oh oui mais je ne la verrai pas,
Je pourrai l’embrasser encore
Oh oui oh oui mais je ne la verrai pas.
3. La bourrée
La bourrée n’est pas spécifique au Bleymard des années 40 – 50, d’autant que, grâce aux fieiréjaires, elle est toujours vivante, comme d’autres traditions (foire aux bestiaux notamment) maintenues par cette si sympathique association.
Une vidéo d’amateur nous permet d’admirer les Fiéréjiaïrés exécutant une bourrée sur la place de l’église.
Elle me sert de prétexte pour inclure un texte de J. Porcher (1895) qui décrit une bourrée au Bleymard, dans une auberge dont on ignore le nom mais qui peut être soit Farges soit La Remise. J’ai ajouté, au-dessous une photo d’anciens qui, lors d’une fête votive mémorable, tapèrent la bourrée au profit des organisateurs.
Nous passâmes la nuit au Bleymard mais il y eut peu d’heures pour le sommeil. On dansait dans la grande salle de l’auberge… Après avoir vainement essayé de nous endormir, nous descendîmes voir le bal. Il y avait là une dizaine de garçons et de filles qui se livraient aux délices de la bourrée. Cette danse est lourde et bruyante mais ne manque pas de caractère. Elle n’offre point de ces pas légers et rapides où glissent les couples enlacés. Danseurs et danseuses ne se touchent pas : tête levée, poings sur les hanches, œil provocant, ils tournent lentement les uns autour des autres, en décrivant des lignes sinueuses et par instants ponctuent la danse de violents coups de talon. Pendant ce temps, le « musicien » chante une mélopée monotone en frappant du pied pour marquer la mesure. Les hommes assis aux tables, le long des murs semblaient prendre grand plaisir au spectacle. Tout en buvant, ils lançaient en patois quelques plaisanteries aux danseurs. Mais ceux-ci n’y prenaient point garde et continuaient à se mouvoir gravement. Une danseuse surtout était l’objet des agaceries, une belle fille brune, aux yeux noirs, au teint doré. Mais elle ne répondait à personne, le regard froid, les lèvres dédaigneuses, attentive seulement au pas et au rythme. Et vraiment elle avait grand air, et nous la regardions avec admiration. Le lendemain, nous nous mettions en route dès cinq heures. Une déception nous attendait au départ. La danseuse d’hier, la reine de la bourrée, en sabots et cotillon court, lavait son linge devant la porte de l’auberge…
J. Porcher, Les étapes d’un touriste en France.


Pour écouter une bourrée que notre compatriote NADINE AMOUROUX a consacrée à son village natal et qu’elle a donc intitulée ” LA BLEYMARDOISE CLIQUER ICI
- C’est cette salle de l’ancien dortoir des frères qui fut dénommée, ensuite, « salle des œuvres » au dernier étage de la maison Pélorgeas. ↩︎