Vie sociale

  1. Ode au Bleymard
  2. Fraternité et entraide au quotidien
  3. La rue, cœur battant du village
  4. Le Bleymard ouvert sur le monde
  5. Albert Reboul
  6. Annexe : la Louveterie

1. Ode au Bleymard

En guise d’introduction, je crois devoir évoquer l’ode au Bleymard composée par Camille Lavigne en 1956. Parmi les 66 strophes qui composent ce long poème j’ai choisi les extraits ci-dessous.

Le Bleymard est posé, dans la suite des temps,
Pour commander l’entrée de sa belle vallée.
C’est ainsi qu’il se montre au début du printemps ;
Quand la morne saison au loin s’en est allée.

Le Bleymard serait dans ce vaste « actimodon »
Mais l’hiver revenu, c’est un autre manège ;
Il se mute soudain en grand caméléon,
Quand son dos a pâli sous l’effet de la neige !

Et l’on voit ça et la pacager le bétail,
Et dans l’air retentir le chant de son berger,
Jusqu’à l’heure venue de mettre en éventail,
Le sac à provisions qu’on lui a ménagées.

C’est Saint-Jean, à son tour qui profite de l’onde
Son église romane et son vieux presbytère
Semblent pleurer leurs jours dans la douleur rotonde !
Et leur isolement plonge dans le mystère.

Le passant qui, surpris se demande pourquoi
Cette cloche d’argent et ce grand colombier
Ont cessé de parler et de mettre en émoi
Soit absence du prêtre ou de gens pour prier !

Or la rue mal pavée, c’est le cœur du village
Le commerce y sourit ; la jeunesse se meut,
Et des chutes d’eau claire on entend le ramage,
Se mêlant aux clameurs dont l’étranger s’émeut !

Cependant tout là-bas, le chemin Masméjeanne
Est plan en vérité sur toute sa longueur,
On y parle tout bas quand l’amour est en panne,
Et cela sans troubler le paisible lecteur.

Le béal y répand agréable fraîcheur,
Et fournit aux jardins tout au long de la route,
L’onde pour féconder et légumes et fleurs,
Et à tout promeneur se trouvant à l’écoute.

Les chemins du Couderc sont bien moins fréquentés
Car ils sont montueux et souvent malaisés
Là, les cailloux roulants gisent en liberté,
Et la bise y répand de pénibles nausées ;

Voici l’autre chemin, il est court et discret,
Vers le champ de repos il dirige mes pas
Et dans mon souvenir recueilli et concret
Je salue mes amis qu’a fauché le trépas.

Telles du temps passé, étaient les mœurs locales ;
Plus de grandes veillées autour d’un feu de bois !
L’art moderne et l’afflux des cures estivales
Ont effacé l’antique et l’ont mis aux abois.

L’archaïque pavé enfin a disparu,
Et fait place au glacis recouvert de bitume ;
Et le public se plait a parcourir la rue,
Qui d’un passé vécu a rompu la coutume.

Dévoué magistrat ! le pays se souvient :
L’église et le chemin n’étaient point assez larges
Le village en entier voulait comme il convient,
Jusqu’au champ de repos honorer Monsieur Farges !

Le gouvernail jadis semblait héréditaire :
Qui donc se souvient de la gestion Rouvière ?
Sa voix fort écoutée fut souvent salutaire,
Il sauva son pays de la horde meurtrière !!

Chaires d’anatomie tremblaient sous ses débats,
Et son « Rouvière », à flots emplit les facultés,
Ô Lozère témoin de ses premiers ébats,
Aux cendres de ton fils donne hospitalité !

Mais, de son souvenir pour animer la flamme,
Les fons de souscription ont fourni le moyen ;
Car sur le sol natal on dresse et on acclame
Le buste vénéré du savant Lozérien !

Vous trouverez ci-dessous le poème complet.

2. Fraternité et entraide au quotidien

La vie au Bleymard est caractérisée par une très grande simplicité et une solidarité de tous les instants. Le Bleymard ressemble à une grande famille où tous les membres se serrent les coudes pour affronter une vie rude.

Cette fraternité est pour une bonne part, j’en suis persuadé, la conséquence de la guerre 14 – 18 où l’on a pleuré ensemble les morts, puis par le retour de l’enfer des poilus survivants mutilés dans leur chair et leur âme. Ils ne pouvaient oublier à quel point ils avaient été proches dans leur commune misère et ils avaient appris la relativité des choses.

Ainsi que le rapporte Georgette Combes, avant l’actuelle horloge qui égrène, bêtement, les heures, les cloches de l’église ponctuaient la vie du village.

Chaque son avait sa signification : le glas qui sonnait sans fin pour dire au village qu’un des siens était parti, les carillons pour les fêtes (baptêmes, communion, mariages…) une fois trois coup pour l’Angélus du matin, de midi et du soir.

Trois fois par jour, mon grand-père arrêtait alors son travail, quelqu’il soit, le temps de réciter l’Angélus.

Bien entendu, les cloches étaient lancées manuellement, du haut du clocher, épisodiquement par mes copains et moi, ce qui me rappelle le souffle et le vacarme de la grande cloche lorsque nous la lancions, à la volée (un ami particulièrement fort parvenait à lui faire effectuer un tour complet !)

Mais normalement ce travail incombait au sonneur attitré, le Bonnefoi qui, comme par hasard, habitait la Campanade.

Certes, il y avait des heurts des différends, des disputes (cf. la page sur la politique), mais cela restait en famille.

Il fallait voir les actes d’entraide, les dévouements, les réunions comme les charbonnades, ces repas du soir où les nombreux participants ayant, plus ou moins, aidé à la préparation du cochon, égrenaient leurs souvenirs. À cette occasion, on n’oubliait pas les indigents : chacun recevait volontiers une assiettée de cochonnaolle.

Ces soirées se terminaient, toujours, par ceux de la Grande Guerre. Je pleure d’avoir été trop jeune, trop dissipé, trop c… pour n’avoir écouté que d’une oreille distraite ces récits d’une aventure que je jugeait préhistorique.

La réglementation favorisait encore cette vie commune :

  • l’hiver les hommes « coupaient » la neige, à la pelle, pour permettre le passage du bus (courrier) et, chacun dans le village participait à creuser l’étroit sentier : la chialado.
  • une fois par an, ils étaient tenus à un impôt, en nature, « les prestations » qui consistait, sous la surveillance du chef cantonnier – Dupeyron, puis Granier qui épousera Solange Quintin – à l’entretien et la réparation des murs, rigoles et autres chemins et biens communaux. Les libations, blagues et rigolades diverses faisaient, bien entendu, partie des « prestations ».

3. La rue, cœur battant du village

La rue principale n’était jamais déserte. Elle était bruissante de passants à la sortie des écoles, de la messe et les jours de foire. Les soirs d’été, on sortait chaises et tabourets et on s’installait devant les portes pour deviser tout en surveillant les jeux des enfants.

L’hiver, la rue s’amusait souvent d’impressionnantes batailles de boules de neige auxquelles participaient tous les enfants et pas mal d’adultes, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. En raison du fait que je considère comme essentiel et sur lequel je reviens si souvent, du fait donc,  que le « jeunisme » n’avait pas encore été inventé et que les jeux (belote, pétanque, blagues diverses) comme le travail étaient partagés, à égalité entre jeunes et vieux (même si je dois avouer que, quelques coups de pied au cul venaient parfois écorner brièvement cette belle harmonie égalitaire et rappeler l’existence d’une certaine hiérarchie).

En hiver, le mercredi soir, lorsque la nuit s’annonçait particulièrement froide, des ombres furtives se glissaient vers la fontaine prolongeant la maison de Mlle Rouvière.

Le lendemain matin la rue, depuis cette fontaine jusqu’au pont de Combesourde, s’était transformée en un magnifique miroir, le siphon ayant été dûment condamné par nos lascars.

Et… le jeudi, après le catéchisme, c’était un concours de glissades – les couades – sur des luges pour les rares qui en possédaient , des traineaux – les ménous – ou même de simples planches. Que de bousculades, de cris, de disputes, quelle animation ! Et quelle fierté pour les plus courageux qui se donnaient assez d’élan pour remonter jusqu’au milieu du pont !

Mais aussi quel calvaire pour les riverains qui ne pouvaient sortir de chez eux qu’après avoir répandu cendres et mâchefer ; et pour le brave curé Fraisse lequel, au péril de ses os, devait au petit matin gravir ce glacis pour aller dire sa messe ! Bien sûr, ça rouspétait ferme mais cela n’allait pas très loin, les « vieux » n’avaient pas oublié qu’ils avaient fait la même chose, avant nous. Certains, même, n’hésitaient pas à nous emprunter un ménou pour une petite couade (pas de jeunisme chez nous).

Ma mère et mes tantes m’ont raconté avoir participé à de telles glissades, avec, en guise de traîneau, leurs chaufferettes qu’elles avaient amenées à l’église ou à l’école des sœurs (non ou très mal chauffées).

4. Le Bleymard ouvert sur le monde

Mais le Bleymard n’en était pas moins ouvert aux autres :

  • les estivants venaient, en « garni », chez l’habitant qui les considéraient rapidement comme des amis, même si avec une affectueuse ironie, ils les baptisaient « buveurs d’air »1 ; à Bagnols c’étaient les « trempe cul »2.
  • pendant la guerre il y avait les réfugiés. Chaque famille, non indigente, était tenue d’accueillir un enfant de la ville (Marseille le plus fréquemment). Ces gamins étaient admis et traités comme nous, partageant nos jeux, notre inconfort, nos travaux (vachers), devenant nos copains.

Certains sont restés attachés au Bleymard et je dois citer notre ami Momon, qui véritablement  « adopta » ses hôtes, M. Mme Galtier (Madagascard).

Ces amis n’étaient pas meilleurs que nous à l’école, ils étaient moins bons pour traquer la truite, mais ils nous ont beaucoup appris, le brassage fut très positif pour tous.

On peut toujours rêver de villages où chaque famille devrait accueillir un enfant des banlieues, mais je crains que notre société soit devenue trop individualiste pour admettre une telle utopie d’ailleurs incompatible avec le modernisme.

5. Albert Reboul

Ci-dessous une figure Bleymardoise qui m’est chère.

Voir aussi les portraits de quelques personnages : L’Albert Reboul.

Silhouette Lozérienne

Albert Reboul

M. Reboul a été longtemps maire du touristique village du Bleymard. Il s’est maintenant un peu retiré de la vie politique, encore qu’il ait toujours bon pied, bon œil. Il le prouva d’ailleurs à la chasse, car c’est l’un des meilleurs fusils de la région.

M. Reboul est avant tout le liquoriste du coin. Vins, bières et tout ce qu’il faut pour mettre l’entrain – lui-même est toujours en grande forme, toujours prêt à rire ce qui lui vaut [l’amitié ?] et à tout le moins la [sympathie ?] de ceux qui l’approchent.

Mon oncle Albert fut pour moi un père et, dans bien des domaines un modèle. Ancien poilu, appelé sous les drapeaux en 1911 (classe 10) il est libéré à la fin de la guerre en 1918 (7 ans) après avoir été blessé en septembre 1917.

Il fut conseiller municipal puis Maire de 1950 à 1959. Chasseur, il était lieutenant de Louveterie (cf. ci-dessous). C’était surtout un homme bon, généreux et particulièrement sociable.

6. Annexe : la Louveterie  

En France, la louveterie a été créée par Charlemagne en l’an 812, pour protéger les habitants et leurs élevages contre les loups. Son représentant était le premier représentant de l’État.

Les lieutenants de louveterie sont des agents de l’État bénévoles, nommés par le préfet sur proposition du Directeur départemental de l’agriculture et de la forêt et sur avis du président de la Fédération départementale des chasseurs pour une durée de cinq années renouvelable.

Ils doivent être de nationalité française et jouir de leurs droits civiques, être âgés de 75 ans au plus (décret du 22 septembre 2009), avoir un permis de chasser cynégétique nécessaire pour remplir correctement leurs fonctions, notamment par leurs connaissances de la vie, des mœurs des animaux sauvages, de l’équilibre biologique à maintenir et la législation de la chasse et des règles de sécurité, résider dans le département où ils sont nommés (ou un canton limitrophe), ne pas avoir fait l’objet de condamnation pénale en matière de chasse, de pêche et de protection de la nature depuis au moins cinq ans, posséder la compétence. Ils sont assermentés.

Dans l’exercice de leurs fonctions, les louvetiers doivent être porteurs de leur commission préfectorale et d’un insigne représentant une tête de loup dorée avec en exergue une courroie de chasse émaillée bleue portant l’inscription « lieutenant de louveterie » en doré. Ils s’engagent par écrit à entretenir, à leurs frais, soit un minimum de quatre chiens courants réservés exclusivement à la chasse du sanglier ou du renard soit au moins deux chiens de déterrage.

Il est conseiller technique de l’administration en matière de régulation de nuisibles et chargé de l’abattage des animaux sauvages infectés par la rage et des chiens et chats errants. Il a un rôle de régulateur. Il constate les infractions à la police de la chasse dans sa circonscription. Il a un rôle de conciliateur avec le monde agricole. Il faut rappeler que lors d’une battue administrative, il ne s’agit plus d’action de chasse mais de destruction et que, dès lors, la réglementation de la chasse ne s’applique pas.

Voir aussi :

  1. De l’expression « On vient prendre un bol d’air. » ↩︎
  2. Allusion à la station thermale. ↩︎

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