La politique, les élections

  1. La loi de 1905
    1. L’inventaire
    2. La location des presbytères
  2. Les élections
    1. Les partis
    2. Addenda
      1. Conseillers municipaux élus en 1831
      2. Conseillers municipaux élus en 1834
      3. Nomination du maire en 1858
      4. Conseillers municipaux élus en 1900
      5. Prestation de serment des conseillers en 1900
      6. Conseillers municipaux élus en 1908
      7. Affiches
      8. Recours sur régularité du scrutin en 1908
  3. Anecdote : la parade électorale

1. La loi de 1905

1.1. L’inventaire

Notification : 15 février 1906

Comme dans la plupart des villages de Lozère, la vie au Bleymard est dominée par la foi et une pratique catholique pure et dure. Processions multiples, confrérie des pénitents blancs, prêtres réfractaires sous la révolution… C’est dire si les lois de 1905 et surtout les inventaires des biens de l’Église suscitent l’émoi et la plus extrême opposition.

Monsieur le Receveur,

Comme en fait foi la commission que vous nous avez présentée, vous êtes donc chargé de procéder à l’inventaire des biens mobiliers et immobiliers dont la fabrique du Bleymard a la propriété ou la jouissance.

Or, nous, Curé de la paroisse, et membres du conseil de fabrique à qui la garde de ces biens a été confiée, vous protestons de toute l’énergie de notre âme contre cette opération qui porte une atteinte très grave et très injuste aux droits sacrés de l’Église.

Aussi ne cédons nous qu’à la force. De plus, en nous rendant à la convocation qui nous a été faite, nous tenons à déclarer bien haut que par notre présence nous n’entendons aucune manière donner une approbation quelconque à la loi de séparation avec notre auguste chef le souverain Pontifice qui l’a réprouvée, condamnée avec une éloquence, une énergie qui réjouissent les cœurs chrétiens, nous la réprouvons, nous la condamnons.

Par notre présence aussi purement passive nous n’entendons en aucune manière donner les moindre acquiescement à l’aliénation hélas ! bien passible de la plus minime partie des biens de la fabrique ou à leur transmission tant que le St Père ne se sera pas prononcé sur ces questions réservées à son autorité.

Veuillez, s’il vous plaît, annexer notre protestation au prcès-verbal de l’inventaire que vous allez faire.

Le Bleymard, le 21 février 1906.

Protestation du curé et du Conseil de Fabrique

C’est ainsi, que le jour de l’inventaire, selon mes parents qui l’ont vécu, les quelques 90 % de la population du bord clérical, s’enferment dans l’église avec leur prêtre et que les forces de l’ordre sont contraintes d’en enfoncer la porte à l’aide, dit on (même source), d’une hache prêtée par un  « traitre » (ou un légaliste, selon les « bords »).

Quoiqu’il en soit les inventaires finissent par être dressés mais des difficultés ne manquent pas d’apparaître pour appliquer le nouveau statut des anciens biens du culte :

Extrait de l’inventaire du Bleymard, la totalité de cet inventaire est à la disposition de qui le désire

1.2. La location des presbytères

Le 19 mai 1907, le conseil municipal (Maire M° Ferrand) à la suite de diverses injonctions du préfet,  décide d’autoriser le maire à passer un bail avec le nouveau curé doyen, M. Crozard, pour la location du presbytère qui « quoique édifié sur les fonds propres et personnels de MM . les curés serait considéré comme propriété communale ». Le loyer sera fixé à 25 francs annuels pour 18 ans.

Le bail est signé conformément à ces conditions le 5 juin 1907.

Le 19 juin le préfet écrit au maire pour lui annoncer l’annulation de la délibération du 19 mai, le loyer étant insuffisant, et le met en demeure d’inviter le curé à quitter le presbytère en ayant recours à la voie judiciaire pour le faire expulser si son invitation est sans résultat.

Lettre du préfet annulant la délibération du 19 mai 1907 – 19 juin 1907

Il semble qu’il y ait eu ensuite des négociations, mais le 19 octobre  1907 le préfet prend un arrêté, lequel « en application de la loi du 9 décembre 1905 » et considérant que l’insuffisance du loyer « implique une subvention indirecte au culte, interdite par l’art. 2 de la loi de 1905 », annule la délibération du 19 mai.

La lettre transmissive de l’arrêté reprend, presque mot pour mot les termes de celle du 19 juin.

Le 19 octobre 1907, le Conseil Municipal (M° Ferrand, maire, MM. Albouy, Balez, Buisson, Lahondès, Robert et Sicard), prend acte de l’arrêté et après avoir souligné « l’état de vétusté complète du local », décide néanmoins d’augmenter le loyer « sans que celui-ci dépasse cinquante francs par an ».

Le préfet a certainement accepté le nouveau loyer car le dossier ne contient pas d’autres pièces.

2. Les élections

2.1. Les partis

Ces événements laissent des traces et, bien que la grande majorité des Bleymardois continuent la pratique du culte, deux « bords » politiques se sont formés, même s’ils ne s’affrontent guère qu’au moment des élections :

  • le parti que l’on peut appeler « clérical », mené par M° Ferrand, notaire,
  • le parti « anticlérical » conduit par l’autre notaire M° Rouvière.

Notons que, les militants du parti « anticlérical » qui ne vont pas à la messe et, surtout, qui ne « font pas leurs Pâques » peuvent se compter sur les doigts de la main. Toujours est-il qu’au moment des élections, ceux qui sont les meilleurs amis du monde, s’affrontent durement et vertement.

En témoigne cette chanson, composée par un inconnu dont on ignore le « bord », qui illustre le niveau du débat et le sérieux avec lequel les protagonistes feignaient de s’opposer ! Ma mère et mes tantes échangeaient de fenêtre à fenêtre, les deux versions de la chanson avec leurs voisines, amies et néanmoins, de l’autre bord (la Macelle, la Léontine, etc.)

Les partisans de Rouvière chantent, sur l’air de « La Carmagnole » ces inoubliables paroles :

Lous Ferrandousés sount malaous (bis)

lous ménarént à l’hespitaou (bis)

dé qué lus dounarén ?

dé merdo én dé brén !

À quoi, les partisans de Ferrand rétorquent sur le même air en remplaçant simplement lous Férrandousés par, évidemment,  lous Roubiérousés.

Inutile de traduire, à part,  peut être , le mot brén qui désigne le son, la partie du blé moulu que l’on donne aux cochons. Inutile, également, de dire que ces disputes ne durent pas et que les amicales conversations de porte à porte ou de fenêtre à fenêtre reprennent de plus belle après ces divertissants intermèdes.

2.2. Addenda

On peut consulter, aux archives départementales, un dossier contenant des documents officiels sur les élections de 1833 ,1834, 1858 , 1900, 1908 et 1912 (archives départementales : cote M 12899). J’ai retenu :

2.2.1. Conseillers municipaux élus en 1831

La liste des conseillers municipaux récemment élus avec notamment la fortune de chacun.

NomsPrénomsQualités, professions, fonctions, titres et décorationsFortune, en revenus
FargesPierreBuraliste des postes500 fr.
RouvièreJean, Antoine, IsidoreGreffier du Juge de Paix800 fr.
DevèzeJacquesCultivateur400 fr.
MaurinJean-id.400 fr.
PrivatJean-id.1 000 fr.
MoulinMichel-id.600 fr.
MassadorJacques-id.1 000 fr.
FrésJean dit Blondin-id.150 fr.
cet homme a sur sa tête l’imposition des biens de sa femme
BuissonPierre-id.200 fr.
RobertJean, AntoineCultivateur et aubergiste700 fr.
LavinioleFrançois, HyppoliteNotaire2 000 fr.
PitiotPrivatCultivateur400 fr.
Conseillers Municipaux, Le Bleymard, 16 septembre 1831

2.2.2. Conseillers municipaux élus en 1834

NomsPrénomsQualités, professions, fonctions, titres et décorationsFortune, en revenus
MaurinJeanCultivateur250 fr.
PrivatJean-id.900 fr.
RouvièreJean, Antoine, IsidoreGreffier du Juge de Paix300 fr.
RobertJean, AntoineCultivateur700 fr.
DevèzeJacques-id.700 fr.
FargesPierrePropriétaire, receveur-buraliste300 fr.
MassadorJacquesCultivateur adjoint, instituteur et receveur buraliste de la distribution des lettres1 200 fr.
LavinioleFrançois, HyppoliteNotaire (maire)2 500 fr.
MoulinMichelCultivateur400 fr.
FerrandLouis, JosephNotaire1 800 fr.
BuissonPierreCultivateur500 fr.
FrésJean-id.la fortune de cette maison appartient à la femme
Conseillers Municipaux, Le Bleymard, 31 octobre 1834

2.2.3. Nomination du maire en 1858

Arrêté portant nomination du maire, Jules Rouvière, par l’Empereur le 23 août 1858.

Nomination du maire par décret impérial

2.2.4. Conseillers municipaux élus en 1900

La liste des conseillers municipaux indiquant que la liste Rouvière a remporté les élections en 1900 avec en marge, au crayon, et c’est assez cocasse, l’appréciation portée sur chacun : « réactionnaire », « républicain », « très douteux »…

Noms et PrénomsProfessionDomicileNbre de suffragesObservations1
Rouvière FélixNotaireBleymard85répub.
Pons AugustinReceveur buralisteBleymard82républicain
Ferrand JosephNotaireBleymard82réactionnaire
Veyrunes PierrePropriétaireSt Jean81très douteux plutôt mauvais
Lahoundès PierreidBleymard80réactionnaire
Peytavin MichelidBonnetès79républicain
Rieu FerdinandidBleymard79réactionnaire
Teissier AugusteMaître d’HôtelBleymard79républicain
Robert AugusteFerblantierBleymard79réactionnaire
Conseillers Municipaux, Le Bleymard, 6 mai 1900

2.2.5. Prestation de serment des conseillers en 1900

Ensuite nous les avons invités à prêter le serment prescrit par la loi du 30 août 1830, ce que chacun de ces Messieurs a fait en ces termes : « Je jure fidélité au roi des français, obéissance à la Charte Constitutionnelle et aux lois du royaume. »

Cette prestation de serment terminée, nous avons déclaré que le nouveau Conseil municipal était installé.

De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, que les membres du Conseil municipal présents ont signé avec nous.

Prestation du serment des conseillers – 9 mai 1900

2.2.6. Conseillers municipaux élus en 1908

Liste des conseillers faisant apparaître la victoire des Ferrandousés (l’alternance) avec les mêmes appréciations, cette fois rédigées à l’encre par le rédacteur de ce document officiel.

L’alternance est là, les qualificatifs sont servis à l’encre, en même temps que le tableau, donc par un « réactionnaire » qui n’hésite pas à se qualifier comme tel.

L’appréciation de « douteux » portée par un républicain, en 1900, au sujet de Veyrunes est confirmée : le voici dans le camp des réactionnaires.

Le tableau n’est fourni qu’en juillet, car les élections de mai ont fait l’objet d’un règlement  judiciaire (voir plus bas le recours de MM. Rouvière et Randon sur la régularité du scrutin de 1908).

Noms et PrénomsProfessionDomicileObservations
Ferrand Joseph (maire)NotaireBleymardréactionnaire
Buisson Cyprien (adjoint)BoulangerId.Id.
Albouy AugustinCultiv.Id.Id.
Sicard PaulCultiv.Id.Id.
Farges FélixTailleurs d’habitsId.Id.
Pigeyre JeanCultiv.BonnetèsId.
Blanc AugustinCultiv.ValescureId.
Lahondès Gabriel ditCultiv.BleymardId.
Robert AugusteNégociantId.Id.
Maurin AugusteCultiv.St Jeanrépublicain
Veyrunes PierreCultiv.St Jeanréactionnaire
Balez EugèneCultiv.BleymardId.
Conseillers Municipaux, Le Bleymard, 11 juillet 1908

2.2.7. Affiches

Les affiches où sur l’une d’entre elles, M° Ferrand revendique en même temps s’être longtemps opposé à la construction de l’hôpital et avoir voté les crédits pour cette réalisation. L’hôpital dont il s’agit, géré par le Dr Masseguin, devint assez rapidement le siège du cours complémentaire « à la cime du Bleymard ».

2.2.8. Recours sur régularité du scrutin en 1908

Les recours de MM. Rouvière et Randon sur la régularité du scrutin de 1908 étaient motivés notamment par le soupçon de « marquage » de deux bulletins.

Archives Municipales du Bleymard

Rapport

Par inscription au procès verbal des opérations électorales du 3 mai 1908 pour la commune du Bleymard, messieurs Rouvière et Randon, protestent contre le résultats proclamés.

M. Rouvière demande l’annulation de deux bulletins portant, le 1er de la liste Ferrand sur lequel sont rayés Buisson et Robert, pour la raison que dans la partie inférieure, il est marqué de deux taches d’encre ne traversant pas à l’extérieur, le 2ème de la liste Ferrand sur lequel il se trouve rayé le nom de Flamme et ajouté le nom de Devèze Cyprien, pour la raison qu’il est marqué intérieurement de deux traits d’encre ayant la forme d’un A.

Il demande l’annulation d’un bulletin de la liste Rouvière qui serait marqué par la rature de tous les noms de cette liste et par la disposition des noms des candidats de la liste Ferrand.

M. Randon demande l’annulation d’un bulletin de la liste Rouvière pour le motif qu’en tête du bulletin se trouvent les noms de Ferrand, Buisson, rayés.

Le tout enfreint les articles 8 et 11 de la loi, rendant nuls lesdits bulletins.

Recours de MM. Rouvière et Randon

Ces recours sont considérés comme recevables par le Conseil de préfecture qui annule donc les élections par arrêté du 21 juin 1908.

L’affaire est portée devant le Conseil d’Etat lequel , le 18 juillet 1909, annule l’arrêté préfectoral :

En la forme :

Considérant que d’après l’article 38 de la loi du 5 Avril 1884, le Conseil de préfecture, en cas de renouvellement général des Conseils municipaux, prononce sa décision dans le délai de deux mois à compter de l’enregistrement des pièces au greffe de la préfecture, et, qu’aux termes du même article, s’il intervient une décision ordonnant une preuve, le Conseil de préfecture doit statuer définitivement dans le mois à partir de cette décision.

Considérant que le Conseil de préfecture du département de la Lozère qui n’a rendu aucun arrêté avant dire droit sur les protestations des sieurs Rouvière et Randon, enregistrées au greffe du Conseil de préfecture le 5 mai 1908, n’a statué sur lesdites protestations que par arrêté que le 16 juillet 1908 ; que, par suite, il y a lieu d’annuler cet arrêté comme ayant été prononcé après l’expiration des délais impartis par l’article 38 de la loi précitée.

Au fond :

Considérant qu’il résulte de l’examen des bulletins annexés au procès-verbal, que ces bulletins ne contiennent aucun signe de reconnaissance ; que, c’est avec raison, qu’ils ont été considérés comme valables par le bureau électoral ; que, dans ces conditions, il y a lieu de rejeter les protestations des sieurs Rouvière et Randon contre les opérations électorales qui ont eu lieu le 3 Mai 1908 dans la commune du Bleymard.

DECIDE :

Article Premier.

L’arrêté du Conseil de préfecture du département de la Lozère, en date du 16 juillet 1908, est annulé.

Article 2.

Les protestations des sieurs Rouvière et Randon sont rejetées.

Article 3.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre de l’Intérieur.

Délibéré………

4. Anecdote : la parade électorale

Pour en finir une anecdote :

Vivent au Bleymard deux vieux garçons, assez bohèmes, du parti de Ferrand, surnommés respectivement La Piaule et Le Jésus.

Lors d’une précédente élection, remportée par M° Ferrand, ils s’étaient répandus dans le village, fortement avinés et avaient fait grand tapage toute la nuit. La veille des élections suivantes, le curé les convoque et leur tient à peu prés ce langage : « Si le parti de Dieu triomphe à nouveau, je ne veux absolument pas vous entendre, pas un mot pas un geste inconvenant qui pourrait nuire à notre sainte cause ! »

La liste Ferrand est élue et l’on voit… nos deux lascars, bras dessus, bras dessous, protégés par un vaste parapluie de berger prolongé, à l’extrémité de chaque baleine, par une lanterne vénitienne, arpenter les rues du village sans prononcer le moindre mot, même pour répondre aux salutations des curieux.

Après deux ou trois tours de « ville » ils parviennent devant le presbytère, heurtent la porte jusqu’à réveiller le curé qui, médusé, apparaît, en bonnet de nuit à sa fenêtre pour s’entendre interpeler : « Bonne nuit M. le curé et vive le bon Dieu, Nom de Dieu !! »2

 Sur Le Jésus vous trouverez dans la page répapiades, d’autres anecdotes dont une qui vient de m’être rapportée par mon ami  Henri, « Le Ricou, fils du chasseur de serpents » évoqué dans ces mêmes  répapiades.

  1. La partie observation est servie au crayon , certainement par un “républicain” si on en juge par l’appréciation concernant M. Veyrunes Pierre. ↩︎
  2. À cette époque un « Nom de Dieu » était un péché très grave sanctionné par les flammes de l’enfer. ↩︎
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